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Résistance et transition
12 juillet 2016

UEMSSI 2016 à Besançon : Conférence plénière sur les nouveaux mouvements sociaux

Notes prises à l'occasion de l'Université d'Eté des Mouvements Sociaux et de la Solidarité Internationale 2016 du 6 au 9 juillet sur le Campus de la Bouloie à Besançon.

Conférence plénière : « Reprendre la main sur nos vies : stratégies et outils des mouvements sociaux »

Une conférence articulée autour d’interventions sur les thématiques : les mouvements sociaux en Espagne depuis le 15M ; la Nuit Debout et les perspectives de mouvements lors de la présidentielles de 2017 ; l’affaire Luxleaks.

Le Mouvement des Indignés ou mouvement du 15M est né en Espagne à la Puerta del Sol de Madrid le 15 mai 2011 et a apporté des perspectives nouvelles aux mouvements sociaux mondiaux en créant une dynamique non-violente et transnationale avec des perspectives, des modes d’action et des revendications inédites. Ce mouvement populaire qui continue encore aujourd’hui s’est traduit par deux conséquences différentes, deux hypothèses :

- L’hypothèse Podemos a mené à la création du parti politique du même nom qui a obtenu des sièges à l’assemblée par la mise en œuvre d’une politique classique basée sur la présentation d’un leader, d’une communication large utilisant les media dominants et d’un programme utilisant des « contenants vides » (grands concepts sans programme concret). Le succès de l’hypothèse Podemos, quoique mitigé par ailleurs, est réel aujourd’hui.

- L’hypothèse mouvementiste est le refus de la politisation du mouvement par des moyens classiques et la recherche d’une déconstruction de la politique telle qu’elle se présente en république, représentative et finalement peu démocratique. La représentation du mouvement par un leader n’est néanmoins pas exclue de ce modèle. De nombreuses victoires ont été obtenues dans les mairies par des candidats qui se réclament du peuple à Madrid, Barcelone, Valence, Cadiz et d’autres parmi les plus grandes villes d’Espagne.

On pourrait imaginer qu’étant donné les victoires obtenues par le 15M sur les deux fronts, nous soyons les témoins d’une révolution complète de la politique espagnole. Le problème, tout comme en France et dans d’autres pays, est un blocage étatique qui semble insurmontable. La politique étatique est en effet totalement influencée par la sphère économique mondiale et par la politique globalisée de l’Union Européenne.

Quelles solutions proposées ? Nous sommes tous je pense sceptique devant la possibilité d’une révolution horizontale mais les soulèvements populaires récents donnent une grande confiance dans le changement individuel et le changement de nature profonde des mouvements sociaux qui devront miser sur le nombre d’individus impliqués afin de déborder le politique et de s’imposer dans le débat public au plus haut niveau (notamment à Bruxelles).

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En France, la Loi Travail ou Loi El-Khomri cristallise toutes les trahisons subies et accumulées depuis le début du quinquennat de François Hollande. Les citoyens se sentent dépossédés de la démocratie, savent ne plus être écoutés du tout par le gouvernement qui légifère sans l'avis populaire.

La « Nuit Debout » est née le 31 mars 2016 à l’issue d’une manifestation contre le projet de loi où des citoyens ont créé l’émulation nécessaire à leur propre dépassement pour que le peuple s’approprie le concept. Il est intéressant de constater que ceux qui ont inspiré le mouvement en ont perdu la maîtrise avant même son avènement concret. Le mouvement s’est construit autour d’une liberté d’initiatives (démocratie réelle) et l’expérience commune des violences policières, du mépris des partis et medias conventionnels, de la reprise de l’espace public et du dépassement de l’impuissance imposée par le système.

La place de la République est ainsi devenue un lieu de convergences qui a permis de sortir de l’entre-soi des mouvements sociaux classiques pour aller vers la majorité (l’hégémonie culturelle) et croire que c’est possible !

La légitimité du mouvement et de la désobéissance civile associée à l’occupation des places s’inscrit dans « l’état de nécessité » qui donne constitutionnellement le droit au peuple d’aller contre une loi pour un objectif plus élevé : face à la question climatique, face aux inégalités, face aux violences d’état.

Actuellement et cet été, le mouvement Nuit Debout doit fixer des objectifs et des échéances pour s’emparer du débat public lors de la présidentielle de 2017 et, ni plus ni moins, l’empêcher de se dérouler de façon classique.

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Antoine Deltour, lanceur d’alerte, est brièvement intervenu sur l’affaire Luxleaks dans laquelle il a dévoilé des documents officialisant les accords entre des multinationales et son cabinet d’expertise comptable dans le cadre d’une évasion fiscale absolument massive au Luxembourg. Récemment condamné à un an de prison avec sursis et 1.500€ d’amende, il a décidé de faire appel malgré la peine avec sursis et la somme qui lui est demandée et qui est, dit-il, dérisoire comparée aux frais d’avocats, afin de réclamer une décision juste et la reconnaissance que son action, bien qu’illégale car violant le secret des affaires, était menée dans l’intérêt général.

 

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12 juillet 2016

UEMSSI 2016 à Besançon : Module sur le néolibéralisme et le libre-échange - Jour 2 - Les traités de libre-échange

Notes prises à l'occasion de l'Université d'Eté des Mouvements Sociaux et de la Solidarité Internationale 2016 du 6 au 9 juillet sur le Campus de la Bouloie à Besançon.

Module « Vers la fin du régime de libre-échange ? Luttes pour démanteler le pouvoir des multinationales et pour un régime commercial au service des droits humains. » - Jour 2/3

Le TAFTA

Le Transatlantic Free Trade Agreement (TAFTA) ou Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) ou encore Traité transatlantique de libre-échange est un traité en négociation depuis juillet 2013 entre les USA et l’Union Européenne. Ces négociations, malgré leur grande opacité, ont acquis une visibilité à cause de la législation états-unienne peu exigeante et de la mauvaise réputation des multinationales américaines. Les lobbies industriels ont un accès privilégié au processus de négociation de ce traité. Le parlement européen n’a aucun pouvoir dans celle-ci, il est seulement « débriefé » après les réunions du comité de rédaction.

Le TAFTA apporte des nouveautés par rapport aux accords de libre-échange existants entre les pays industrialisées : il ne parle plus seulement des accords de commerce (simple échange de biens et de services) ; il propose un cadre législatif et juridique pour minimiser les entraves au libre-échange (réorganiser et harmoniser les dispositifs institutionnels « subjectifs » des états) via deux organismes : l’ISDS (tribunal des multinationales) et la Coopération réglementaire. Néanmoins, ces dispositifs ne sont pas une nouveauté dans le commerce international. Ces systèmes existent déjà entre l’Europe et leurs anciennes colonies et furent institutionnalisés la première fois il y a 60 ans par l’Allemagne dans le cadre d’un accord avec le Pakistan.

La Coopération réglementaire est un organisme indépendant des états qui peut être saisi par les entreprises pour harmoniser les lois et les normes au niveau environnemental, de la santé et des pratiques sociales par exemple au sujet des OGM, des pesticides, des hormones, de la législation du travail, des protections sociales des citoyens, etc. Le principe de précaution n’existe pas pour cette institution. Selon le TAFTA, « la science industrielle est plus objective que la science d’état qui est politisée ». L’argumentaire pour la dérégulation est que si l’on ne protège pas les investisseurs, ils ne viendront pas. Il n’existe pourtant aucun rapport entre ce dispositif déjà existant ailleurs et la géographie de l’investissement, encore moins avec l’emploi et la création de richesses, ce que je vais développer plus loin avec les conséquences de l’ALENA qui est en vigueur depuis plus de 20 ans en Amérique du Nord.

L’ISDS est un dispositif juridique mis en place pour permettre aux transnationales d’attaquer en justice les états et de leur demander des pénalités financières s’ils refusent de modifier leur législation. Le retrait de la loi ne peut être imposé mais ce système reste très dissuasif, surtout pour les états fragiles. Il s’agit d’outiller et d’armer les multinationales en faisant passer les intérêts privés pour l’intérêt général. Ce dispositif juridique qui existe déjà dans le cadre de traités entre pays industrialisés et pays en développement (souvent entre anciens colons et colonies) a très peu évolué depuis les années 50, l’arbitrage étant toutefois devenu une industrie : les ISDS démarchent désormais les sociétés multinationales pour qu’elles attaquent les états et réclament leur part du gâteau (depuis le milieu des années 90).

L’ALENA

ALENA signifie Accord de Libre-Echange Nord Américain. Il peut également être désigné par le terme NAFTA en anglais (Nord American Free Trade Agreement) ou TLCAN en espagnol (Tratado de Libre Comercio de América del Norte). Cet accord fut signé en 1994 entre un pays émergeant, le Mexique, et les deux pays industrialisés que sont les USA et le Canada. Il ne s’agissait pas forcément du premier du genre mais nous disposons désormais d’un recul de plus de vingt ans pour mesurer les conséquences de sa signature. Un accord existait préalablement entre Canada et USA donc c’est surtout sur les conséquences pour l’économie mexicaine que nous nous attarderons.

Quels furent les arguments invoqués pour la mise en place de l’ALENA ?

Du point de vue mexicain : La promesse de l’ALENA était avant tout un développement de l’économie mexicaine qui allait ainsi devenir un fournisseur privilégié des Etats-Unis et inversement ce qui, pour le Mexique lui-même, devait signifier une augmentation de la qualité des produits qu’il importait. De façon général, l’ALENA devait créer massivement des emplois et contribuer à une hausse de la qualité de vie au Mexique jusqu’à s’aligner sur le niveau de vie des USA.

Du point de vue des USA : L’horizon ALENA devait permettre une augmentation de la sécurité de la frontière Mexique-USA (frontière la plus traversée du Monde) par une stabilisation de l’économie du Mexique, donc une stabilisation des mouvements migratoires. Pour les USA, c’était s’assurer une sécurisation de l’importation d’énergie, le Mexique étant à l’époque le cinquième producteur mondial de pétrole. Enfin, il s’agissait de rééquilibrer la balance économique des USA et redonner de la compétitivité à leur économie pour faire face à l’UE et au Japon.

Le très controversé chapitre 11 a permis de créer un dispositif d’attaque d’un état en justice par une société qui s’estime flouée par la législation, un changement de régime (concept d’expropriation indirecte), etc.

Qu’est-ce que l’expropriation indirecte ?

Exemple : En 1980, suite à la révolution iranienne, les USA considèrent avoir été dépossédés de leur possibilité de faire du profit dans le pays. Ils s’estiment expropriés indirectement. Des multinationales américaines implantées en Iran décident d’attaquer grâce à un accord de libre-échange en vigueur le gouvernement iranien et gagnent des dommages et intérêts.

Le chapitre 11 officialise un nouvel aspect du capitalisme néolibéral : l’investissement n’est plus une prise de risque. Le capital n’accepte plus la possibilité de perdre.

Quelles conclusions après 20 ans d’ALENA ?

Les échanges commerciaux depuis 1994 ont été multipliés par 8 pour atteindre le chiffre d’un milliard de dollar par jour entre les USA et le Mexique.

On estime que 60.000 emplois sont créés par an au Mexique grâce à l’ALENA, ce qui, au regard de la population de 125 millions d’habitants est absolument négligeable alors qu’aux USA, un tiers des emplois industriels ont été délocalisés. Les salaires dans le secteur industriel au Mexique a seulement suivi la courbe de l’inflation passant de 2,21$/h à 2,79$ tandis qu’aux USA on est passé de 14,33$/h à 16,98$. Le gap entre le niveau de vie au Mexique et aux USA n’a absolument pas diminué.

De plus, l’agriculture au Mexique est en crise grave à cause de la compétitivité de l’agriculture américaine (haute productivité et larges subventions). 4 millions d’emplois agricoles ont été perdus en 20 ans au Mexique. Avant l’ALENA, le Mexique était autosuffisant en denrées alimentaires de base (maïs et haricots rouges) et en était même exportateur. Aujourd’hui, il est importateur net de nourriture. La majorité des petites exploitations a disparu. Le changement de régime alimentaire passant de la canne à sucre au sirop de maïs américain a propulsé le pays au premier rang mondial en termes d’obésité.

La stabilisation des flux migratoires n’a pas eu lieu. Alors qu’il y avait 4 millions de Mexicains aux USA en 1994, il y en a aujourd’hui 12 millions avec pour conséquence sociale un nombre incalculable de familles éclatées. Pour preuve, le Mexique est au quatrième rang mondial de l’envoi d’argent aux familles depuis l’étranger. Beaucoup de violences aujourd’hui perdurent avec 600.000 personnes par an qui tentent de traverser la frontière vers les USA. La moitié de la population est classé sous le seuil de pauvreté. Il y a eu une explosion du marché informel (vente à la sauvette, petits boulots « au noir ») donc sans protection social et sans cotisations pour les fonds publics.

Grâce au fabuleux chapitre 11, le Mexique a été attaqué par des multinationales américaines et canadiennes à de très nombreuses reprises. Notamment en 2003 avec les affaires METALCAD, TECMED et AVANGOA qui sont des entreprises de déchets toxiques ultimes (non traitables) qui souhaitaient implanter leur « poubelle » au Mexique. La résistance citoyenne locale ayant été forte, elles n’ont pas pu le faire mais ont été « dédommagées » d’un montant de 125 millions de $ par l’état mexicain.  D’autres désastres écologiques ont néanmoins eu lieu avec l’explosion des concessions minières (principalement or et argent) au Mexique qui couvrent désormais 15% du territoire national, soit une surface équivalente à celle de l’Italie. Le bétonnage massif des côtes pour le tourisme, outre les conséquences sur les inondations et la destruction des habitats, a mené à de grands mouvements de populations débouchant évidemment sur une instabilité sociale croissante.

Après 20 ans, on peut dire que tous les objectifs sociaux ont complètement échoués et que l’ALENA a sensiblement facilité et accéléré les effets de la crise économique sur la population mexicaine en détruisant son agriculture locale, son environnement et en permettant aux multinationales de voler l’argent public.

L’ALENA aura des conséquences directes sur l’UE en cas de signature du CETA (accord entre UE et Canada) et ce, même si TAFTA échoue car les accords de libre-échange fonctionnent de proche en proche. La Chine étant partenaire de ses pays, elle reconfigure déjà de toute façon la législation internationale de façon indirecte.

Les APE

Les APE pour Accords de Partenariat Economique sont des traités de libre-échange en pourparler depuis le début des années 2000 entre l’Union Européenne et trois groupements de pays africains (l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique de l’Est et l’Afrique du Sud). Ces discussions très conflictuelles ont mis de très nombreuses années à déboucher sur la rédaction de textes en raison de la posture extrêmement agressive de l’Union Européenne dans les négociations, qui sont en fait un chantage total des pays européens sur leurs anciennes colonies. Le reste de mon exposé sera centré sur les APE avec l’Afrique de l’Ouest.

Jusqu’à 2002, des accords existants privilégiaient les pays en développement en leur permettant d’exporter en UE sans droits de douane alors que ces pays pouvaient taxer à l’inverse les pays européens à l’import. L’OMC a rendu illégal ses accords (!) ce qui a perdu d’ouvrir une brèche pour que l’UE renégocie toutes les conditions d’échange avec l’Afrique de l’Ouest. Les PMA notamment (pays les moins avancés) bénéficiaient de l’initiative internationale « Tout sauf les armes » qui encourageait la croissance des pays les plus pauvres en leur accordant un accès privilégié au marché européen. Devant ce « traitement de faveur », l’UE a souhaité faire signer aux non-PMA (telle la Côte d’Ivoire) des APE intermédiaires afin de mettre en concurrence tous les états de la zone, y compris ceux, plus industrialisés, où de nombreuses multinationales européennes sont implantées, et ainsi déstabiliser les constructions régionales et le commerce entre les pays d’Afrique de l’Ouest, presque tous PMA.

Les APE dans la zone Afrique de l’Ouest ne concernent pas les échanges de services mais seulement de biens. Ils imposent la suppression des droits de douane sur 75% des denrées à l’import. On estime pourtant que seulement 6% de la production africaine de l’Ouest est compétitive avec la production européenne (en raison d’une agro-industrie européenne excédentaire et massivement subventionnée par la Politique Agricole Commune) et que cette compétitivité n’est possible que pour la production industrielle et non pas l’agriculture locale vivrière et durable. La filière laitière en particulier sera condamnée par ces mesures car le secteur laitier en Afrique de l’Ouest n’est pas compétitif avec une Europe de l’élevage laitier intensif et excédentaire.

Cela signifie également une perte massive de revenus de douane donc moins de services publics et d’investissement dans l’industrie agro-alimentaire locale. Pour la zone, les pertes estimées s’élèveront à environ 2 Milliards d’Euros par an en 2030 selon un calendrier de libéralisation progressif imposé. Plus aucune marge de manœuvre douanière pour les pays africains ne sera envisageable en cas de fragilisation économique extrême (conséquence attendue). Le détournement des échanges locaux au profit de l’UE signera l’arrêt de mort de l’agriculture traditionnelle, une augmentation exponentielle des intrants chimiques et donc de la dépendance aux multinationales de l’UE, et une victoire annoncée des acteurs économiques déjà dominants et compétitifs en Afrique de l’Ouest (souvent transnationaux).

La négociation des accords se fait en trois temps : le paraphe (écriture du texte), la signature des pays concernés et enfin la ratification par les parlements nationaux qui est une phase longue car elle nécessite le débat parlementaire. L’UE étant impatiente de nouer ces accords a posé un ultimatum aux pays africains concernés à l’échéance du 1er octobre 2016. Les droits de douane pour l’Afrique de l’Ouest, si l’accord n’est pas ratifié à cette date, se verront augmentés à l’import en UE. Cette mesure illégitime, ne tenant pas compte des délais nécessaires dans ces pays à démocratie fragile pour discuter d’un texte d’une telle portée, a été ostensiblement prise pour couper le débat parlementaire. L’OMC, qui devrait jouer ici un rôle de régulation, montre son impuissance face aux acteurs économiques dominants. L’UE joue ici un double jeu car elle devra payer le coût de cette folie ; les dépenses en aide d’urgence et aide au développement risquent d’exploser. Il faudra réparer d’une main ce que l’on a détruit de l’autre. La logique néolibérale sous-jacente apparaît ici au grand jour : socialiser les coûts et privatiser les bénéfices.

Une pétition existe sur internet pour interpeler les eurodéputés sur la question des APE ici

Conclusion

Les traités de libre-échange sont un grand frein au changement systémique souhaitable tant au niveau de la transition économique que de la transition écologique, qui s’en trouvent entravées par l’abaissement des normes, l’accaparement des moyens de légiférer dans l’avenir, et par la mise en place de l’ISDS (tribunal d’arbitrage lobbies-états). Nous nous retrouvons devant une dichotomie simple : les multinationales contre la souveraineté des peuples. La transition devra donc se faire au niveau local (hors système), tout en continuant la lutte intra-système contre la mise en place de nouveaux traités.

12 juillet 2016

UEMSSI 2016 à Besançon : Conférence plénière sur le fonctionnement du « néolibéralisme de crise »

Notes prises à l'occasion de l'Université d'Eté des Mouvements Sociaux et de la Solidarité Internationale 2016 du 6 au 9 juillet sur le Campus de la Bouloie à Besançon.

Conférence plénière : « De quoi la ‘’crise’’ est-elle le nom ? » présentée par Dominique Plihon, avec Geneviève Azam et Jean-Marie Harribey

La notion de « crise », utilisée pour définir la période économique que nous traversons, résulte d’une difficulté croissante à penser la situation telle qu’elle se présente à nous : la menace de notre seul habitat possible, la menace aussi de l’impossibilité de l’alternative, de notre espérance en un autre monde.

Par définition, la « crise » est un moment anormal/instable entre deux périodes normales/stables. Hors, cette instabilité perdure et s’installe, devenant stable et normale. Historiquement, pour sortir d’une crise, le capitalisme a dû intégrer un élément hors capital, extérieur. Mais désormais, même la nature est intégrée au capital par le biais de la financiarisation des services écosystémiques. Le fait qu’il n’existe plus d’extériorité au capital fait que pour pouvoir continuer à exister, il doit non plus intégrer de nouveaux éléments mais renforcer ceux qui existent par l’intensification des flux et l’accélération des échanges. Aujourd’hui, on sait que le libre-échange et internet n’ont néanmoins pas permis une propulsion de la société aux niveaux économiques et sociaux promis et attendus. Pourtant, les gouvernements ne prennent pas la mesure de cette stagnation dont on ne peut sortir car elle est systémique.

Depuis les années 2000, on n’assiste plus à des crises successives mais à une crise unique et internationale. Pour preuve, la dette chinoise a été multipliée par quatre en dix ans. Il n’y a plus de zone épargnée par le sinistre. On ne peut ainsi plus parler de « crise » mais d’effondrement, d’essoufflement du modèle, et ce, depuis les années 70. Cela ne signifie pas néanmoins qu’il s’affaiblit. En 1971, le Club de Rome lançait son alerte sur l’impossibilité d’une croissance infinie et les années 70 ont vu un fort mouvement de contestation mondiale vers l’autonomie. Les gouvernements ont traduits ces aspirations libertaires en programmes électoraux néolibéraux et la promesse du retour à la situation des 30 Glorieuses.

On s’aperçoit aujourd’hui que la « crise » est le moyen-même de la régulation du modèle. Le capitalisme, fragilisé par ses incohérences, doit se justifier par l’emploi de mesures extrêmes pour le bien commun. Selon la théorie capitaliste, le marché est nécessaire et on doit le sauver par tous les moyens car sans le marché, la société n’existe pas, elle n’est qu’un réseau mouvant et instable que le marché stabilise. Il FAIT la société.

La vertu que revêt actuellement la question écologique est de permettre de contraindre le système et le mettre devant des limites non-négociables, à l’opposé de son obsession pour l’accélération, de son extractivisme des ressources naturelles et du travail via la flexibilité extrême, le mouvement permanent. A ces valeurs, la société civile et le tissu associatif alternatif oppose désormais la lenteur, la décroissance, la relocalisation, les communs, la réduction du temps de travail pour une redistribution de l’activité, les basses technologies, autant de passerelles vers un nouveau paradigme de société avec le cassage du système bancaire dominant, l’annulation des dettes illégitimes et la mise en place d’alternatives monétaires locales. Un modèle se construit déjà en parallèle car le système actuel ne pourra pas tomber brusquement, son agonie sera interminable et signifierait la fin de toute vie.

Il s’agit désormais pour les néolibéraux de mettre en place un projet de décivilisation et de destruction massive grâce au levier de la terreur. Utiliser le mot « crise », c’est jouer leur jeu en permettant de croire qu’il existe une sortie par l’accumulation. La culture de la peur est largement utilisée pour justifier les mesures d’urgence, la course à l’armement, les violences policières et une lutte antiterroriste complètement inadaptée et dangereuse pour la sécurité et l’intégrité nationale.

12 juillet 2016

UEMSSI 2016 à Besançon : Module sur le néolibéralisme et le libre-échange - Jour 3 – Les alternatives au libre-échange

Notes prises à l'occasion de l'Université d'Eté des Mouvements Sociaux et de la Solidarité Internationale 2016 du 6 au 9 juillet sur le Campus de la Bouloie à Besançon.

Module « Vers la fin du régime de libre-échange ? Luttes pour démanteler le pouvoir des multinationales et pour un régime commercial au service des droits humains. » - Jour 3/3 - Les outils alternatifs pour un régime commercial respectueux des droits humains

Le commerce équitable : l’exemple d’Artisans du Monde

Fondée vers 1970, cette ONG de solidarité internationale altermondialiste, membre fondateur d’ATTAC, prône un commerce respectueux des droits de l’homme. A la base, il s’agit d’une fusion de plusieurs associations françaises qui réalisaient du commerce équitable avec le Bangladesh en solidarité à la suite d’une catastrophe naturelle. L’activité d’Artisans du Monde démarre avec la rédaction d’une charte qui cadre les valeurs démocratiques mises en pratique dans le réseau.

Le commerce équitable se base sur un rapport d’égal à égal entre les acteurs et un engagement dans la durée des deux parties. Néanmoins, il ne doit pas être le seul interlocuteur/client des associations de producteurs. La plupart du temps, les coopératives au Sud vendent une partie de leur production dans les filières classiques et une autre dans celle du commerce équitable, leur permettant une rémunération plus importante. Artisans du Monde refuse de travailler avec les multinationales, ce qui n’est pas par exemple le cas de l’organisme de certification Max Havelaar, qui a dû de fait adapter ses exigences éthiques au marché néolibéral.

« Artisans du Monde » a le poids institutionnel pour interpeler la société civile et le pouvoir politique sur le TAFTA et les accords de libre-échange.

Attention, le commerce équitable ne doit pas aboutir à une déculpabilisation totale de notre consommation de produits importés. Même dans le cadre d’un commerce équitable, dans l’excès, nous pouvons encore porter atteinte à la souveraineté alimentaire des pays en développement !

Vers une régulation des droits des multinationales : the Treaty Alliance

Actuellement, nous vivons dans une corpocratie mondiale. Les multinationales sont les seuls acteurs au monde à ne pas subir de régulation et ne sont pas responsabilisables : les victimes d’un dommage commis par une multinationale n’ont pas de recours. Cela est dû notamment au fait que les filiales sont considérées par le droit comme des acteurs économiques différents (la filiale peut « disparaître » sans que cela nuise au groupe). Il s’agit d’une forte asymétrie entre la réalité économique (le groupe) et le cadre juridique, ce qui permet aux sociétés de travailler en toute impunité sociale et environnementale. Le droit international sur l’écologie et les droits humains est « mou », c'est-à-dire volontaire. L’ONU a tenté sans succès d’encadrer les activités des transnationales depuis les années 1970, mais sans succès. Les transnationales « s’engagent » à tenir des résolutions mais les comportements restent identiques : la recherche du profit par l’externalisation des coûts sur l’humain et la Terre.

85% des transnationales aujourd’hui sont basées dans les pays du Nord et 60% des échanges commerciaux mondiaux se font entre filiales. 147 multinationales dans le monde concentrent 40% du commerce mondial. Ces chiffres incroyables ne sont que le résultat d’une politique libérale mondiale qui fait obstacle à toutes les régulations.

Pour répondre à la nécessité de réguler les activités scandaleuses des transnationales qui bafouent les droits humains et détruisent la planète, en 2014, une résolution a été déposée au conseil de l’ONU à l’initiative de l’Equateur et de l’Afrique du Sud afin de créer un traité qui permettrait de réguler en droit les multinationales au niveau international. Vous serez sûrement heureux d’apprendre que notre beau pays ainsi que tous les pays de l’UE, les USA et le Canada notamment, ont voté contre cette résolution, qui a été néanmoins adoptée. Mais tous les pays du Nord sont absents lors des séances de rédaction du traité. 5 ans seront nécessaires aux négociations mais une première version sera disponible en 2017. Toutefois, sans les pays les plus puissants du monde économiquement, les négociations ont toutes les chances de tourner court, d’où la nécessité pour la société civile de s’investir dans la défense de cette mesure nécessaire, voulue par plus d’une centaine de pays.

Plus d’infos ici : The Treaty Movement (en français)

Le Mandat de Commerce Alternatif

Le Mandat de Commerce Alternatif est un texte développé grâce à des consultations de la société civile en Europe. Il traite d’une nouvelle vision du commerce international qui serait respectueux des droits humains et de l’environnement, resserrerait les inégalités et bénéficierait à toutes les parties. Il développe des questions d’alternatives aux politiques libérales et aux traités de libre-échange, ainsi que la question du développement humain et de sa corrélation à la croissance afin d’aller contre les logiques économiques étriquées et suicidaires de l’Union Européenne.

De nombreux aspects du commerce international et de son cadre sont traités, comme la participation sociale1 au débat, les normes, le secteur de la finance2, les matières premières, l’énergie3, le changement climatique, les appels d’offre publics et la propriété intellectuelle4.

1 Actuellement, Bruxelles par l’intermédiaire des commissaires européens (qui ne sont même pas élus !) décide de la politique économique française. Les peuples devraient contrôler la production, la circulation et la consommation, pas une instance illégitime. Nous ne voulons pas de la négociation actuelle autour de TAFTA et TISA (libéralisation des services, de la santé et de l’éducation dans 51 pays soit 70% des services mondiaux) !

2 Depuis 2010, 37% du PIB de l’Union Européenne a été cédée au secteur financier privé via la dette et les opérations de sauvetage soit 4.500 Milliards d’Euros. Une exigence de transparence serait un strict minimum…

3 L’Union Européenne est actuellement importateur net d’énergie : 54% de l’énergie consommée et 85% du pétrole sont importés. Le mandat appelle à la sécurisation de ces importations par le rééquilibrage des taxations.

4 7 pays contrôlent 95% des brevets, ce qui mène à une intolérable privatisation des savoir-faire. La question des Big Data doit aussi être soulevée pour exiger la transparence : qui garde les informations, où et dans quel but ?

Plus d’infos ici : AlternativeTradeMandat

21 septembre 2018

Sciences sans conscience, etc

Retour sur le colloque « Sciences Responsables »

Je tenais à restituer via un article le plus complet possible le contenu de la journée de conférences que j’ai suivie la semaine dernière au sujet des sciences dites citoyennes, c’est-à-dire des sciences indépendantes du système dominant, celui où le savoir devient marchandise et où les recherches menées ne sont plus que la réponse aux besoins immédiats des industriels (recherche appliquée) ou à des aspirations à l’éthique questionnable (transhumanisme, manipulation du génome, …), en raison de financements publics inexistants ou orientés vers la croissance économique et un progrès technocratique.

J’en suis venue à participer à cette journée un peu par hasard mais le sujet m’intéresse au plus haut point puisque j’ai précisément quitté le domaine scientifique et la R&D en raison de l’absence de sens immédiat que je pouvais trouver dans mon travail. Je ne l’ai pas interprété alors comme une décision politique, même si, avec le recul, cela l’est au plus haut degré. Aujourd’hui, même si je ne veux pas revenir à ce milieu, principalement parce que j’aime davantage militer, mettre les mains dans la terre ou écrire sur mes voyages, il me semble important de « surveiller » l’évolution de l’éthique des sciences, les brèches qui s’ouvrent et les domaines militants qui requièrent de la matière grise.

Bien sûr, il s’agissait d’une rencontre où s’exprimaient et échangeaient principalement des chercheur.se.s, en l’occurrence éminemment citoyennistes, même s’il semblait bien y avoir au moins une intervenante qui avait un véritable discours de rupture. J’y allais sans attente particulière, uniquement la stimulation intellectuelle d’avoir l’impression de passer la journée dans un labo du CNRS. Et en prime, j’ai appris le mot « apocryphe ». Rien que pour ça, ça valait le coup de se déplacer.

Un constat accablant de l’état actuel de la science mainstream

Le diagnostic est le même partout dans le monde. La compétition généralisée du néo-libéralisme a contaminé tous les aspects de la société, transformant la science, tout comme la politique et la finance, en des espaces d’irresponsabilité illimitée où aucun lien n’est fait entre décision et conséquences, où personne ne peut être tenu pour responsable d’une dérive, d’une crise, d’un crime scientifique contre l’humanité, où le système semble être un automate sans pilote, une machine sans âme. Si les responsables existent, ils ne nous sont pas identifiables.

Les différents rapports de force existant entre la science, l’industrie, la politique et la finance ont fait prendre un virage utilitariste important à la recherche qui n’est plus aujourd’hui qu’une compétition pour des financements où il est moins important de chercher dans la « bonne direction » que de pouvoir s’assurer l’obtention de l’argent pour ladite recherche. C’est principalement une catastrophe pour la recherche fondamentale et les sciences sociales, ainsi que tous les domaines pour lesquels la plus-value économique n’est pas immédiate ou évidente. La recherche est devenue un grand marché du savoir mais aussi du doute et du mensonge où tout résultat peut se trouver, se « prouver » et se vendre pour l’intérêt d’un privé, de l’Etat, d’un lobby.

Le rôle du chercheur ou de la chercheuse se trouve limité à un travail d’exécutant et le potentiel subversif du scientifique est systémiquement et systématiquement nié. Les chercheur.se.s déviant.e.s sont ostracisé.e.s, les recherches publiées dans des revues non hégémoniques sont invisibles ou invisibilisées. Finalement, lorsqu’il s’agit de sortir d’un cadre, les chercheur.se.s font preuve d’étonnamment peu d’imagination et de recul face à l’éthique de leur travail. Souvent, la raison invoquée en est le manque de temps pour réfléchir à autre chose que la recherche elle-même et la peur de « freiner le progrès ». Néanmoins, lorsqu’il s’agit de l’impératif de refuser des recherches qui mènent l’humanité vers un gouffre ou de l’absence criante de sujets développés pour autonomiser et donner de la résilience à notre civilisation (agro-écologie, énergies décentralisées, …), aucune excuse ne pourrait être acceptée pour justifier l’inaction des plus brillants esprits du temps.

Aujourd’hui, on ne peut pas vraiment parler d’un contre-modèle en opposition qui existe réellement et soit pérenne. Néanmoins, quelques pistes ont été explorées dans le domaine des sciences non-systémiques :

- la recherche bénévole, indépendante, pour laquelle des personnes utilisent les moyens à leur disposition avec peu ou pas de ressources financières (par exemple les prises de données en écologie des populations, comme le comptage des oiseaux en migration) ;

- la recherche commandée, pour laquelle une association ou un groupement de personnes commandite un organisme de recherche classique pour mener une investigation sur un sujet qu’il ou elle subventionne ;

- la recherche participative menée par un collectif dont éventuellement des chercheur.se.s, des citoyen.ne.s, des associatif.ve.s qui posent ensemble les questionnements et mène la recherche dans une optique d’horizontalité chercheur.se.s/citoyen.ne.s/autres acteur.trice.s.

La principale difficulté demeure d’enrôler dans ce type de démarches des chercheur.se.s émérites dans leur domaine, en proposant des financements dérisoires et avec le risque de stigmatisation des autres acteur.trice.s de la profession.

Une brève histoire de la recherche citoyenne : créer l’intelligence collective

La recherche citoyenne rencontre tous les problèmes d’un chantier ouvert, d’une démarche de pionnier.e.s, à savoir un tâtonnement permanent. L’histoire commence dans les années 70 où, en Europe du Nord et en Italie notamment, un contexte de contestation et de rupture donne le champ libre à des initiatives de recherche indépendante, notamment en collaboration avec le Sud, en tentant de s’affranchir du paternalisme lié à l’histoire coloniale. A cette époque, la globalisation n’a pas encore contaminé la totalité des découvertes scientifiques et des ruptures technologiques mais déjà la confiance des populations dans la science est écornée. La question se pose déjà d’une recherche non étatique, non industrielle et surtout de son implantation et la participation citoyenne dans le paysage de la recherche de façon pérenne et pas dans le cadre de projets ponctuels.

Depuis ces débuts chaotiques, le contrat social entre la recherche et la société civile n’a pas subi de rupture véritable et le fonctionnement linéaire de la recherche est toujours globalement le paradigme majoritaire. Cela relève d’une difficulté de penser horizontalement les problématiques et de se comprendre en terme épistémologique. Les relations avec le Sud notamment auraient nécessité de décoloniser complètement les savoirs et la recherche. On parle alors de désobéissance épistémologique car la colonisation a eu pour impact un véritable lingicide (par exemple, la disparition des graphies africaines) et épistémicide via la scolarisation en langue étrangère (la langue des colons) qui a confisqué aux populations leur propre science, fondamentale, empirique et sociale en les contraignant à penser les aspects complexes, non quotidiens, de la vie dans une langue étrangère, ce qui implique également a posteriori la difficulté de la diffusion des connaissances. Ainsi, les recherches n’intéressent l’occident que lorsqu’elles servent son intérêt (peu de recherche sur le paludisme par exemple avant qu’un changement climatique ne remette en question l’aire de répartition des moustiques porteurs).

Dans les années 90, ATD Quart Monde a lancé un projet de recherche disruptive sur la pauvreté en incluant dans la démarche des travailleur.se.s sociaux et des personnes en situation d’extrême pauvreté. L’idée était de donner, un peu à la Alinsky, de la crédibilité aux populations concernées par la problématique pour définir les questionnements les concernant et de confronter le savoir vernaculaire avec les « acquis » des sciences sociales sur le sujet de la pauvreté qui sont souvent éminemment verticaux, condescendants et qui prennent en compte la pauvreté en termes de besoins et de solutions pensés par le haut, au lieu de réfléchir en termes de ressources et de dignité. En ouvrant ces brèches non-académiques et en invertissant certains raisonnements, cette recherche a permis de faire émerger de nouvelles problématiques, de nouvelles méthodes de validation de la démarche et des résultats. Elle a permis en outre de remettre en cause l’urgence de la situation de la pauvreté, le statut des savoirs vernaculaires (différents du simple témoignage, plutôt une co-construction sociale) et des schémas scientifiques admis tels que la pyramide de Maslow (pyramide des besoins) qui devient un cercle, tout cela par de nouvelles méthodes de mise en réciprocité et d’autonomisation des savoirs.

Se dégager de l’emprise industrielle

Comment maîtriser une science modelée par la compétition et l’injonction permanente d’être concret ? Comment orienter la recherche vers l’intérêt commun plutôt que dans un fonctionnement systémique ? Question ouverte et complexe, surtout en restant intégré et connecté dans l’écosystème de la recherche scientifique, de ses laboratoires et de ses revues.

L’innovation est une injonction systémique également, je vous invite pour approfondir le sujet à regarder la conférence « Innovation et progrès » d’Etienne Klein. C’est ce qu’il faut pour que « rien ne change » et que le monde « ne se défasse pas » c’est-à-dire que, dans le discours néolibéral, sans innover, la société pourrit, elle dégénère, elle tombe dans la déchéance, la dystrophie, la désagrégation, la décrépitude, la décadence, l’abâtardissement, je pense que vous avez compris, je peux fermer le dico des synonymes. Bref, l’innovation c’est le bien.

Pourtant, c’est souvent un bon gros foutage de gueule. Prenons l’exemple de la pharmacopée ; de nombreux experts s’accordent à dire qu’il n’y a pas de véritable nouveauté dans le domaine de la pharmaceutique depuis 1975, que ce qui survient après, ce sont des changements de packaging, des subterfuges pour prolonger les monopoles et empêcher le maximum de molécules d’être générisables. Du fait de l’absence d’innovations, la situation pourrait être stable et simple. On recense environ 10.000 maladies connues et 10.000 molécules actives sur le marché. Puisqu’un gène code une protéine dont le dosage ou la défaillance peut provoquer un dysfonctionnement donc une maladie, on pourrait imaginer les deux ensembles (maladies et médicaments) comme deux ensembles bijectifs. Que nenni. Le marketing transforme M. et Mme Toutlemonde en malade qui s’ignorait et la financiarisation de la santé provoque une concurrence féroce sur les marchés porteurs (maladies de civilisation : stress, maladies auto-immunes, maladies cardio-vasculaires) et un vide intersidéral du côté des maladies sans marché juteux (maladies complexes à diagnostiquer, à symptômes multiples et/ou rares).

Pour contrer cet état de fait, des exceptions existent comme la collaboration Cochrane qui réunit environ 30.000 experts sans lien d’intérêt avec le monde de la pharmaceutique qui travaille à une réévaluation indépendante des savoirs médicaux ainsi que la DNDI (Drugs for Neglected Disease Initiative). Ca paraît joli mais quand on regarde d’un peu près, les fondations qui financent ces projets trempent aussi dans les industries louches et contrôlent ainsi la totalité de la filière. J’aurai voulu finir ce paragraphe sur un truc cool mais j’ai raté. Désolée.

Recherche participative : de l’horizontalité avec les acteurs de l’agroécologie

La généralisation des OGM relève de la prédominance de la biologie moléculaire dans le champ de la biologie et de l’abandon tacite du principe de précaution. Un tiers secteur de recherche « empirique » se développe pour la sélection des semences biologiques, via un projet de l’INRA.

Ce projet de recherche participative se construit autour de paysan.ne.s-chercheur.se.s et de plusieurs laboratoires de recherche en France, sur la demande des acteur.trice.s de l’agriculture paysanne, en demande de variétés-populations répondant aux besoins de petites exploitations, sans intrants, de meilleure qualité et répondant de près à un cahier des charges personnalisé en fonction du type de sol et de climat. Cette recherche est par son essence-même décentralisée puisqu’elle a lieu sur les exploitations, un peu partout sur le territoire.

L’encapacitation (le fameux empowerment) des agriculteur.trice.s et des animateur.trice.s de terrain se fait via des outils génériques d’aide à la gestion et à la sélection collective de diversité dans une base de données qui favorise l’interdisciplinarité. L’action entraîne l’évaluation, l’analyse et le résultat qui génèrent à leur tour la discussion qui boucle sur l’action.

Malgré des difficultés liées au temps nécessaire à se comprendre, à construire la confiance, à trouver les financiers adéquats et le manque de reconnaissance politique de la recherche participative, cette dernière exerce un contre-pouvoir, centre la recherche sur des enjeux sociétaux et créé de nouveaux métiers.

La science au cœur de la démocratie

La justification de la création de l’association « Sciences citoyennes » et de la tenue de ces colloques repose sur la nécessité de développer des savoirs pour résister et envisager d’autres possibles. Ceci commence par la dénonciation du déficit de démocratie et de prise en compte du bien commun dans tous les aspects de la société et pas seulement dans la recherche. Il est temps de ne plus laisser les logiques de court-terme dominer et le marché déterminer l’utilité de la recherche, conséquence des relations trop étroites avec le secteur privé à but lucratif.

Les subterfuges actuellement utilisés pour demander l’avis de l’opinion publique ne trompent personne. Les consultations, déjà partie congrue de la démocratie participative, ne sont prises en compte que si leur résultat va dans le sens des marchands.

Dans le discours européen (et du coup français), les scientifiques devraient se retrouver « entre eux », explicitement sans les citoyen.ne.s pour retrouver leur éthique et leur légitimité. Les autres acteur.trice.s seraient des marchand.e.s de doute. Il n’y a pas de remise en question systémique, le problème est sensé être individuel.

L’expérimentation des sciences participatives n’a quasiment jamais été à l’initiative de l’Etat mais bien plutôt des régions. Aujourd’hui cependant, elle est resserrée, comme la recherche mainstream, également à l’utilitarisme et s’épaule seulement sur un fonctionnement différent et pas une finalité différente. Pour mener la lutte, c’est donc le tissu associatif et l’engagement individuel qui pourraient servir de levier, même avec une place minoritaire, dans le paysage de la recherche, comme par exemple avec la création d’une maison des lanceur.se.s d’alerte. La responsabilisation de la société civile face aux crises sociétales est un engagement de long-terme dont les effets se cumulent contre la marchandisation et les postures autoritaires, via des perspectives résolument décentralisées.

Une recherche orientée par la société civile

Ce qui se passe dans les laboratoires aura une grande implication sur le système Terre et sur l’informatisation des existences dans les années à venir et les crises afférentes. Cela modifiera, de fait, le contrat social entre la recherche et les citoyen.ne.s.

Pourquoi aujourd’hui, on recherche dans les domaines des OGM, du nucléaire, de l’intelligence artificielle, de l’ADN, de la géo-ingénierie, des voitures électriques, etc ? Si les peuples avaient pu choisir les orientations de la recherche, on peut supposer que les sujets développés auraient été très différents. Les citoyen.ne.s donneraient la part belle à la recherche fondamentale notamment et au développement de la collaboration plutôt que de la compétition dans la recherche. Pour que les personnes puissent s’exprimer, il faut développer des outils pour proposer une véritable participation non-biaisée des citoyen.ne.s et imposer leur légitimité aux pouvoirs publics, permettre d’établir des priorités mais aussi de proclamer des interdits. Même un groupe de profanes, s’il est suffisamment objectivement informé, peut exprimer un avis éthique pertinent sur un sujet complexe grâce à l’intelligence collective, aux qualités humaines naturelles. Le doute irréductible sur la pertinence de l’avis citoyen a tendance à invalider sa légitimité. Pourtant, la science ne peut survivre que si on l’ouvre de nouveau au bon sens, au sens commun. Il faut pour cela, permettre aux personnes de décrire le monde commun pour l’améliorer, en décrivant leur crise de subsistance individuelle.

Repenser la responsabilité des sciences

L’irresponsabilité des sciences est actuellement liée à l’immunité des entreprises sur les questions écologiques, climatiques et économiques. Le capitalisme productiviste et fossiliste se nourrit de sa propre impunité face à ses externalités.

Dans l’état actuel des législations internationales pour l’environnement, il n’existe aucune disposition qui soit à la fois contraignante et universelle. Ce qui est contraignant n’est pas universel et ce qui est universel n’est pas contraignant et se repose sur le volontarisme des états comme des ETN (entreprises transnationales). Grâce aux alliances entre société civile et scientifiques, il a parfois été possible de condamner des états en regard de leur constitution, comme devant l’obligation de protéger leur population qui subira les effets des pollutions et du changement climatique. Cela a abouti aux Pays-Bas, au Pakistan et en Colombie, peut-être bientôt aux USA. Un tribunal international déclarant le crime d’écocide pourrait faire avancer la cause environnementale car les tribunaux étatiques se heurtent à la plasticité des ETN et de leurs filiales qui peuvent apparaître et disparaître à l’envi.

Si l’Anthropocène est la description de l’impact de l’homme en tant que forme géologique (ce que je trouve personnellement présomptueux et une véritable glamorisation de l’apocalypse), l’homme a la possibilité de reprendre par la technique ou bien, les causalités non-linéaires induites par son activité et les boucles de rétroaction font déjà du système Terre un système hors de contrôle.

Les accents réminiscents d’une journée en amphi

Si je devais résumer ce que j’ai appris sur cette journée, c’est tout de même une assez agréable sensation qu’il y a une prise de conscience d’une partie des personnels scientifiques des enjeux globaux et de la responsabilité de la recherche dans ces enjeux. C’est peu, c’est tard, mais c’est mieux que rien, je crois.

Dans l’optique d’horizontalité de la recherche, il est toujours gênant que celleux qui définissent la légitimité de chacun.e à participer soient précisément celleux qui détiennent le savoir et ladite légitimité à la base. Mais il faut bien commencer quelque part et ouvrir la science semble le point de départ. Encore faut-il que la société civile s’empare de son pouvoir d’action politique, ce qu’elle ne fait pas habituellement sur les autres thématiques où elle est sollicitée. Comme sur toutes les problématiques sociétales, c’est la torpeur qui nous condamne. Ne soyons pas spectateur.trice.s de la vie, soyons chercheur.se.s de vérité !

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7 janvier 2019

De l'histoire subjective des indésirables (ou quand l'Etat ne comprend rien)

[Ce texte est rédigé en écriture inclusive, c'est-à-dire non sexiste comme l'est, par essence, la langue française. Le féminin intervient après un point car il n'est pas une parenthèse. "Il" devient "ielle", "lui" devient "ellui", "eux" devient "elleux", "ceux" devient "celleux" afin de briser l'académique masculin dominant.]

COMPETITION POUR L'EVACUATION

A l'automne 2016, je me trouvais sur la ZAD de Notre-Dame des Landes. Des menaces d'évacuation lourdes pesaient alors sur les occupant.e.s de la zone. Cela m'avait amenée à rester après un chantier de construction car j'étais fortement déterminée à voir et comprendre ce qui allait se passer. A la même époque, une menace d'évacuation planait aussi sur un autre endroit en France où vivaient des personnes que l'Etat ne voulait plus non plus voir là : la jungle de Calais.
Puisqu'il fallait dans un cas comme dans l'autre mobiliser un nombre impressionnant de gardes mobiles pour intervenir et faire "place nette", il s'agissait pour le gouvernement de choisir. Choisir qui était le plus indésirable. Et en ce temps, Hollande et ses sbires ont choisi. Ils ont démantelé la jungle, "jangal" c'est-à-dire la forêt (en persan et pashto).

De là est apparu pour moi de façon inextricable ce lien invisible qui relie les opposant.e.s politiques de l'Etat, les écologistes, les anarchistes, les activistes, les "Français indésirables" avec les exilé.e.s, qu'ielles soient soudanais.e.s, afghan.e.s, rrom.e.s ou guinéen.ne.s. Celleux en somme qui vivent dans la "forêt", qui la défendent, ou du moins le voudraient s'ielles n'étaient pas menacé.e.s, ce faisant, dans leur intégrité physique et morale, citoyenne, celleux qui construisent des façons de vivre parallèles au système étatique par volonté ou contrainte.

Car tou.te.s sont les indésirables d'un Etat qui ne considèrent pas ces vies car il ne comprend pas leurs motivations, leurs valeurs, ce qui les meut. Considération invisible aux yeux d'une opinion publique qui n'a accès qu'au discours lissé et politiquement correct des BFM et consort.

De là, j'ai compris que la lutte pour les arbres et la Vie et la lutte pour la dignité des exilé.e.s et le respect de leur projet de vie était quelque part la même. J'ai décidé d'embrasser les deux d'un même voyage car la nature et les être humains sont opprimé.e.s par le capitalo-patriarcat comme une même unité. Pour une raison simple, ils sont la même essence.

FAIRE PLACE NETTE

La réponse de l'Etat à une occupation est toujours l'expulsion. Comme si faire place nette était plus important que laisser chacun vivre selon ses valeurs, là où ielle s'est établi.e, où ielle essaye tant bien que mal de constituer une communauté, et surtout comprendre pourquoi ielle est là et agir sur les causes. Car il y a toujours une raison.
Plutôt que d'accompagner, d'extraire progressivement, d'essayer de comprendre les cas individuels, la vie commune qui se crée, on amène des camions de CRS, en nombre. Et on évacue, on détruit, on ne cherche même pas à comprendre si la personne a ici des affaires personnelles, une vie qui s'était établie. Pour le retour de l'ordre, à tout prix, y compris celui de l'ignominie. Ainsi, on a fait dormir des enfants dans une jungle en feu plutôt que de les protéger dans des containers, on s'est mis à chasser les gens comme du bétail dans des centres villes et des trains, on a tiré des milliers de grenades dans un bocage, on a gazé des vaches laitières. "On", c'est celle, celui qui ne fait "que son travail". Cellui qui, quand on lui demande ce qu'ielle en pense, "n'en pense rien", "suit les ordres".

A l'automne 2017, nous essayions, avec les copain.e.s, d'empêcher l'abattage de dizaines d'arbres centenaires d'une place, près de là où vivent mes parents, pour la construction d'un édifice culturel neuf alors que l'ancien pouvait être rénové. Sans succès aucun. La police est arrivée pour défendre les machines de mort et les hêtres sont tombés en quelques heures. Le lendemain, le quotidien local titrait comme pour se moquer, à côté de l'article de l'échec des "zadistes berruyers", un très éloquant "les oiseaux des villes disparaissent". Pauvre monde. Mais la place est nette, croyez-moi. C'est bien propre à présent.

Comme en écho, à l'automne 2018, une forêt disparaît à nos portes. Près de Paris, à Romainville. Huit hectares de vraie forêt, pas une plantation en ligne d'essences choisies, une vraie forêt, qui meurt pour se transformer en îlot de loisirs... Ca se passe aujourd'hui et celleux qui luttent contre ce projet mortifère sont inquiété.e.s par les autorités. Comme à une autre échelle celleux du Triangle de Gonesse qui protègent en Île-de-France des terres, parmi les plus fertiles du monde, de la bétonisation en un fantastique centre commercial de nouvelle génération, Europacity, avec piste de ski en intérieur (plus besoin d'aller à Dubaï pour subir l'aberration), un projet du groupe Mulliez (vous n'avez jamais entendu ce nom et pourtant c'est Auchan, Decathlon, Kiabi, Leroy-Merlin et beaucoup d'autres enseignes), une famille qui semble avoir besoin d'argent...


CELLEUX DE LA FORÊT

Si aujourd'hui, les campements se reconstituent toujours, que les zads fleurissent partout, c'est que l'Etat faillit à comprendre. Il ne peut comprendre les motivations de quelqu'un.e qui a risqué sa vie en Méditerranée, qui a subi mille sévices, qui est parti.e rejoindre un être cher. Il ne comprend pas qu'il ne s'agit pas du nombre de sévices, d'humiliations subies, ou du nombre de fois où la personne se verra confisquer ses affaires, ses papiers d'identité, ses chaussures, lacérer sa tente, gazer sa couverture en plein hiver, réveiller en pleine nuit à coup de pied dans le visage, tout cela par notre respectable police, par nos belles compagnies républicaines de sécurité aux propos néonazis assumés. Il ne comprend pas que cette personne ne peut abandonner, car d'autres comptent sur ellui.

L'Etat ne comprend pas davantage cellui qui, mû par l'amour et par l'espoir en un avenir tangible, où il reste des arbres, un air respirable et des rivières, construit une cabane pour empêcher un chantier d'aménagement routier, d'enfouissement de déchêts nucléaires, d'agrandissement d'une mine de charbon, alors qu'une place douillette l'attendait en ville, alors qu'un emploi "respectable" lui était accessible au prix de l'esclavage du salariat. Ellui non plus ne partira pas si facilement, car ielle sait l'enjeu de ses actes.

Je les aime tout autant car ielles sont de la même nature, du même bois. Ce sont celleux de la Forêt. Et si l'appareil étatique, la machine à broyer administrative, le politique "lobbytomisé" ne peut les comprendre, nous, nous le pouvons. Nous pouvons les aider. Nous pouvons être elleux. Chacun.e d'entre nous, sera tôt ou tard de celleux de la Forêt, indésirable au système car vivant.e, sentient.e.

Résistant.e ou mort.e.

25 octobre 2018

Europacity, la ruine des dernières terres fertiles d'Île-de-France VS le shopping nouvelle génération

Si vous n'êtes pas un.e habitué.e des luttes anti-GP2I (Grands Projets Inutiles Imposés) et que vous ne résidez pas en Île-de-France, il y a peu de chances que vous ayez déjà entendu parler d'Europacity, le plus grand projet d'investissement privé depuis Disneyland en 1992.

Ce projet vise à bétonner en grande partie près de 300 ha de terres actuellement cultivées en conventionnel (principalement des céréales, avec des rendements TRES importants) pour l'implantation d'une ZAC et d'un centre commercial d'un nouveau genre, mix génial entre un centre commercial classique automatisé et connecté, à l'écoconstruction greenwashingué, avec un centre culturel et de loisirs en intérieur ou en extérieur où tout est pensé pour que vous puissiez passer des journées entières à consommer, assister à des spectacles et vous détendre, dans un environnement fermé et aseptisé, isolé car en pleine campagne, relié à Paris (24 minutes) par une gare dédiée payée par les pouvoirs publics.

LE TRIANGLE DE GONESSE

Peu connu, même des franciliens, le triangle de Gonesse n'est pas une zone géographique officielle, elle n'est desservie par aucun transport en commun (il faut prendre le bus et marcher) et elle n'a aucune attractivité particulière puisqu'il s'agit de champs cultivés. C'est pour les politiques une page blanche, une zone à bétonner, à "valoriser".

Partout ailleurs, on bétonne et on valorise sans grande résistance. Mais ici, un enjeu apparaît. Le triangle de Gonesse est cultivé depuis au moins 4000 ans, des "silos" préhistoriques ont été retrouvés dans le sol et la raison en est connue. Le sol de Gonesse est parmi les plus fertiles, pas de France, pas d'Europe, mais du monde. Gonesse n'est pas à côté de Paris, c'est Paris qui est à côté de Gonesse et ces terres et les excédents agricoles qu'elles ont produit sont la raison pour laquelle la capitale française se trouve ici, parce que l'on a pu nourrir des artisans et des notables, menant à la possibilité d'une spécialisation et d'une urbanisation. Aujourd'hui, Paris n'a "plus besoin" de ces terres pour sa survie mais il est tout aussi absurde de bétonner du néoluvisol que de se mutiler physiquement. Les agriculteurs locaux parlent de "crime", ça n'est probablement pas exagéré.

LE PROJET EUROPACITY

Un oeil sur le site officiel du projet www.europacity.com ainsi que celui du triangledegonesse.fr et vous comprendrez rapidement de quoi il s'agit et les moyens de communication déployés pour faire passer la pilule de l'aberration. Car Europacity, c'est quand même, au-delà d'un énième centre commercial (qui ne pourra qu'être désert comme Paris Nord et le Millénaire), un parc d'attraction et un piste de ski en intérieur (quelle bonne idée !).

Les mots "ensemble", "expérience", "emplois", "diversité", "partager", "famille", "amis" reviennent énormément dans le discours et les photographies pastelles de belles femmes caucasiennes souriantes rentrent dans une vaste campagne de persuasion que le projet, au delà de participer à votre bonheur, va aussi vous trouver un emploi et sauver la planète.

Bien entendu, Europacity se veut un pôle incontournable du futur Grand Paris en préparation du Paris des JO 2024 et un projet pour l'emploi, bien que, comme tous les centres commerciaux du monde, il ne fera qu'en déplacer et en détruire, notamment les emplois commerciaux du centre commercial Paris Nord 2, et a fortiori à cause de ses boutiques connectées, où des caméras et des balances dans les rayonnages permettront de déduire vos achats de votre compte sans caisse, même automatique. En outre, les emplois créés par ces centres, commerce, gardiennage, loisirs dans une moindre mesure, sont d'une grande précarité et demanderont aux employés d'importants trajets journaliers du fait de l'excentrage du triangle de Gonesse par rapport à Paris et aux principales zones résidentielles d'Île-de-France. Je ne développe pas ici les menaces sur la vie privée que font peser des supermarchés connectés où une caméra reconnait votre visage et vos vêtements pour savoir sur quel compte bancaire débiter vos achats et ce que pourra vendre Europacity au big data si vous faites vos courses au même endroit que votre spa, vos loisirs connectés, tout ça avec vos gosses et vos amis. Chacun.e peut y réfléchir en son âme et conscience.

Le greenwashing de ce projet est à la hauteur de la destruction titanestique des champs à la fertilité incroyable (100 quintaux de blé à l'hectare, c'est davantage que les plaines d'Ukraine !) et vous lirez sur le site du projet comment les restaurants utiliseront les légumes de potagers bio autour du centre...
Europacity est une "living city", un village de demain. C'est effectivement probablement le cas, c'est à cela que ressemblera demain, pas très "living", mais connecté, imposé, peint en vert mais mort.

"CONCERTATION" ET LOBBYING

Pour faire passer une pilule aussi grosse, il faut donner l'illusion du dialogue. Pourquoi ne pas ouvrir un site qui s'appelerait "Construisons Europacity" (pas trop le choix apparemment) et dire que l'on mobilise la société civile sur les questions de la construction ? Demander l'avis des gens sur les détails mais pas sur la légitimité du projet lui-même.

Mais qui est derrière tout ça ? Un trust chinois, Wanda, associé à une famille française très puissante, les Mulliez. Leur empire commercial qui compte aujourd'hui plus de 500 enseignes dont les très lucratifs Auchan, Kiabi, Decathlon, Leroy-Merlin, Norauto, etc leur permet un lobbying très fort sur les pouvoirs publics. Qui d'autre pourrait se faire payer une gare ferroviaire et des dizaines de km de voies à un milliard d'euros pour déservir un projet privé ? Encore une fois, personne depuis Disney ne l'avait fait !

COMMENT LUTTER ?

L'urgence aujourd'hui se situe dans la lutte contre la bétonnisation immédiate et notamment la première étape, celle de la gare payée avec l'argent public à la hauteur de 1 milliard d'euros dimensionnée pour faire transiter plus de 30 millions de visiteurs par an (mais bien sûr !) ... Quand on sait les besoins de transport en commun en Île-de-France et notamment de banlieue à banlieue, les difficultés de circulation sur certaines lignes existantes, on a de quoi serrer les dents.

Des actions en justice sont en cours car la Déclaration d'Utilité Publique est une supercherie et que des personnes compétentes se sont associées pour le démontrer.

Une occupation de terres se fait sur le Triangle via un potager participatif. Ce petit potager fait si peur aux grands aménageurs que les légumes sont menacés d'expulsion ! Le Collectif pour le Triangle de Gonesse appelle tou.te.s les sympatisant.e.s à se rassembler au Tribunal de Grande Instance de Pontoise pour les soutenir le mercredi 14 novembre à 9h.

Vous pouvez vous rendre sur le site nonaeuropacity.com, signer les pétitions en ligne et vous abonner à l'Echo du Triangle.

Pour aller plus loin, n'hésitez pas à contacter le CPTG (Collection pour le Triangle de Gonesse).

Non à Europacity et vivent les légumes ! :)

Pourquoi le triangle est-il si fertile ?

Un autre destin pour Gonesse : l'anti-Europacity, le projet CARMA

21 octobre 2018

LE MONDE SE RETIRE par Sylvain Tesson

Je rentre d'un voyage au Moyen-Orient. J'ai voyagé des jours par les plaines et le long de fleuves antiques. Je ne précise pas le tracé de mon itinéraire parce que je ne veux pas donner le récit de mes pérégrinations mais seulement exprimer une pensée générale.

J'ai passé des heures sous des ciels de l'Orient, dont les nuits de mystères calment les brûlures du jour, et je suis rentré hier soir à Paris. Je n'ai pas eu le temps de mettre mes notes en ordre, tout juste ai-je pu, pendant que l'avion franchissait la Méditerranée, rassembler les images qui, de mes milliers de kilomètres parcourus, se dessinaient à mon esprit.

Or, je ne revois que la ruine, le chaos et la détresse.

Partout des villes en cendres, des masses affligées, un monde fumant.

Des plaines de sacs en plastique, des versants de béton qui devaient avoir été de grandes pentes parcourues par des troupeaux et des tribus farouches.

Des amoncellements de décombres pour témoigner de cette double opiniâtreté de l'Homme :

Sa fièvre de bâtir partout.

Sa rage de détruire toujours.

Et en rentrant en France, en ouvrant à nouveau les journaux, en écoutant les nouvelles du monde, je ne reçois que la même information sur la montée des eaux, la fonte des glaces, tout ce que nous savons sans trop nous en effrayer : l'embrasement du ciel, la disparition des bêtes, le flétrissement du vivant, le recul des formes de la vie, bref, l'usure du monde.

Si j'ai écrit ces lignes il y a quelques heures, ce n'est pas pour jouer les Cassandre et lancer des plaintes impuissantes sur la dégradation du monde, ni pour masquer mon manque d'inspiration derrière les accents d'un Lamento trop facilement tragique. Non. C'est parce que j'ai fait la constatation que voici.

Jamais autant qu'en ces journées où j'ai vu défiler sous mes yeux l'enlaidissement du monde et l’appauvrissement de l'homme, jamais n'ai-je autant entendu parler des « lendemains radieux », des promesses qu'ils recèlent, des saluts qu'ils réservent.

Il y a toujours, dans la bouche des plus malheureux, comme de nous autres, Européens épargnés, toujours l'écho de l’espérance en Dieu, de la foi en la Révolution politique, de la confiance dans la technique.

Et ce rapport m'effraie, entre le monstrueux accroissement des affronts faits à la Terre et l'abandon des esprits à des promesses messianiques, consolantes, rassurantes.

Comme s'il y avait un lien proportionnel entre la dégradation du présent, du réel, et le mouvement conjoint d'oubli du passé et de supplication adressée à l'avenir.

Or, cette confiance dans les trois avènements que je viens de citer : le Dieu religieux, les promesses politiques, les prouesses techniques m’apparaît une fausseté. Ces trois messianismes, je les tiens pour des écrans de fumée qui nous épargnent de mieux nous conduire, ici et maintenant, de ménager ce dont nous disposons, de conserver ce qui tient encore bon.

Ici on appelle à la Révolution, ici on aspire à l'au-delà, ici on travaille à augmenter la réalité.

Foi révolutionnaire, espérance messianique, fétichisme technique.

Pendant ce temps : fonte des glaces, mort des bêtes, recul du réel.

Les fables, les chimères, gagnent du terrain. Le monde, lui, se retire.

Eh bien moi, je suis du côté du réel. Des arbres, des sols, des bêtes. Pas des écrans, ni des prophètes, ni des drapeaux rouges.

Je ne sens aucune impatience pour ce qui n'est pas encore advenu.

J'ai l'impression que la révolution politique est parfois le mouvement qui transforme une situation qui aurait pu être meilleure en une situation qui ne peut pas être pire.

J'ai l'impression que Dieu pourrait se résoudre à la manifestation de tout ce qui vit et chatoie, là, devant nos yeux dans l’expression des formes vivantes, données et non promises.

J'ai l'impression que les spéculations sur l'intelligence artificielle sont la figuration d'un cauchemar.

Bref, j'aime la magie du réel et voudrais me pouvoir contenter de son chatoiement et déplore que nous nous accommodions des salissures que l'humanité laisse derrière elle en nous réfugiant dans d’artificielles espérances.

18 décembre 2018

Le confort de l'entre-soi ou comment j'ai sous-estimé la pertinence du mouvement des Gilets Jaunes

Quand on me demande ce que je fais dans la vie, je commence presque toujours par une moue, à la fois amusée et gênée, pas toujours autant l'un que l'autre d'ailleurs, en fonction de qui pose la question. Je cherche ensuite une réponse socialement acceptable mais il n'en est pas vraiment de satisfaisante. C'est un peu enfermant et pas toujours exact mais disons que je milite, plus précisément que j'essaye de faire ce que je pense être bien, éthique, sur le moment, parfois je le fais dans ce système, parfois contre lui, parfois sans lui.
J'ai la chance, la possibilité, le loisir, de faire cela et j'ai toujours en tête, malgré ma colère, que ce n'est pas le cas de chacun.e.

J'ai dans le sang et sur les lèvres, à chaque minute, la dette grecque, les gens à la rue devant des immeubles vides, le danger du tout sécuritaire et de l'avancement de la surveillance généralisée, ma volonté ferme de mutualiser toute chose, ma haine du néolibéralisme et de l'ubérisation du monde, les destructions écologiques, la souffrance animale, la décroissance, l'autonomie alimentaire, les ZAD, ... c'est une charge mentale importante. Mais, parce que l'âme humaine est faite ainsi de mécanismes de protection et parce que cela fait longtemps que ma vie est ainsi, je me suis endormie sur mes lauriers. Je m'entoure de gens qui pensent et vivent comme moi, des végétarien.ne.s qui mangent des graines, n'achètent jamais rien de neuf, récupèrent jusqu'à leur nourriture et qui me font croire ainsi que le monde change. Car aussi fort que je ne le souhaite pas, pourtant le capitalisme et l'esclavage du salariat continuent de ronger chaque aspect de chaque vie humaine. Alors ma rage s'est muée en autre chose, j'ai appris à préférer planter des carottes que de m'énerver vainement contre la gentrification, agir utilement, du moins je m'en persuade, chaque jour de ma vie plutôt que m'allonger devant les pelleteuses qui détruisent la forêt de Romainville. Occasionnellement, je fais une action directe, lorsque je sais que nous sommes nombreux.ses et que le risque juridique est faible. Par lâcheté. Et lorsque je vais en manif, c'est en sachant pertinemment que la démocrature de Macron et l'Europe libérale s'en fout, c'est juste pour faire corps, être avec les copains, les copines, savoir que je ne suis pas seule à vouloir mettre à bas la toute-puissance de l'argent et du capitalisme, le blasphème permanent contre la Terre Mère.

Car oui, je ne suis pas seule. Il existe aujourd'hui, peu nombreuse mais déterminée, une "classe militante". Issue des classes moyennes précarisées et paupérisées par les mesures d'austérité depuis les années 2000, il s'agit de personnes d'une trentaine d'années qui se sont politisées dans l'errance entre une éducation supérieure qui n'a menée à rien, des occupations de facs au temps du CPE, la loi Travail et Nuit Debout, Notre-Dame des Landes et le temps qui abonde dans un chômage subi au début, choisi par la suite. Cette nouvelle classe, grâce au filet de sécurité de papa/maman et d'un système social encore existant (pour combien de temps si on ne se bat pas pour de vrai pour le défendre) peut se conscienter, faire des choses justes, des choix forts, sans prendre de risques inconsidérés, risquer la rue ou l'assiette vide. Il y a là-dedans des zadistes, des squatteur.se.s, des bobos, des hippies, des néoruraux qui ont en commun de ne plus vouloir coopérer, et qui en paye, mine de rien, un prix parfois élevé.

Comme d'autres de ce groupe, je peux regarder d'un oeil triste celleux qui travaillent pour des multinationales, qui bossent dans le privé tous les jours que Dieu fait et perdent leur temps de vie contre de l'argent, qui s'accrochent au pouvoir d'achat, le pouvoir en d'autres termes de réduire en esclavage d'autres personnes, celui de détruire un maximum de choses, la Terre, sans le vouloir, parfois sans même en avoir conscience. Tout militant le sait bien, on peut faire plier à quelques centaines une banque sur son financement des énergies fossiles, elle aura toujours des clients, on peut toujours salir l'image lisse de Coca ou de Danone, sodas et yaourts se vendront toujours presque comme si de rien n'était. En clair, sans un mouvement d'ampleur de toutes les classes sociales, sans une grève générale illimitée du public et du privé, sans une "grève de la consommation", sans une réorganisation et une autogestion véritable de nos modes de production alimentaire et de denrées et services utiles socialement, aucun véritable changement n'est possible et le gouffre sans fond nous attend à plus ou moins long terme : confiscation des ressources par le privé omniprésent, récoltes insuffisantes, malnutrition, maladies et morts innombrables, migrations massives, guerres civiles et entre pays.

Quand le mouvement des Gilets Jaunes a commencé, je crois qu'aucun mouvement militant historique n'a réalisé ni mesuré ce qu'il se passait et il y avait a minima de la méfiance, souvent même de l'hostilité. Alors que tout le pétrole, le gaz de schiste et autres sables bitumineux devraient désormais rester sous terre pour éviter le réchauffement de plus de 3 degrées, les GJ réclamaient une essence moins chère pour aller bosser. Suicidaire, absurde ? Le soutien de Dupont-Aignan, de Le Pen, quelques discours sur "l'islamisation de l'Europe" plus tard et j'avais carrément envie d'éviter toute allusion à une éventuelle convergence des luttes avec les GJ, c'est-à-dire de construire avec ces gens la résolution des différentes causes (sociales, environnementales, climatiques, économiques) en une seule et unique, souvent résumée à la lutte contre les oppressions/dominations (le capitalisme par l'argent et le patriarcat par les violences sexistes). Je le pensais tout simplement impossible, de par leurs revendications affichées. Les GJ ne semblaient mécontent.e.s que parce que quelque chose les touchaient directement alors que toute une frange de la population donnent une partie ou toute sa vie à aider les autres et à essayer de voir plus loin que le bout de son nez. Je ne voyais pas ce que j'avais à voir avec ses gens. Je crois que comme beaucoup de militant.e.s et c'est bien dommage, je suis classiste. Je ne peux me considérer comme pauvre, même si je vis avec des ressources bien en dessous du seuil de pauvreté parce que j'ai appris à vivre quasiment sans argent. Je ne manque donc de rien. Celleux qui travaillent peuvent au contraire manquer de tout car iels n'ont pas le loisir de s'organiser pour vivre gratuitement. Mais pourtant, nous sommes exactement pareil.le.s, dominé.e.s, exploité.e.s, spoilié.e.s dans nos droits.

Evidemment, il est vexant, lorsque l'on y met autant d'énergie chaque jour, de se voir "confisquer la révolution", surtout avec un message aussi confus parfois. Les premier.e.s à avoir vu les fenêtres qui s'ouvraient entre GJ et militant.e.s vers une convergence sont les syndicalistes mais aussi les antifascistes, c'est le block. En manif, des gens qui n'avaient pas ou plus l'habitude de manifester, des pères/mères de familles, des ancien.ne.s, ont réalisé que ce que disaient les militant.e.s, les zadistes, les "petit.e.s con.ne.s violent.e.s" qui détestent les flics était vrai, que ça n'était pas une interprétation ou une exagération : non, le droit de manifester en France n'existe plus, on se fait gazer, encercler, coincer, nasser sur une manifestation déclarée et validée en préfecture, on peut se prendre un flashball ou une grenade dans le mollet sans avoir absolument RIEN fait dans le seul pays en Europe à utiliser des armes aussi dangereuses sur des manifestant.e.s. Et du coup, des gens qui bossent, qui "ne sont pas rien", qui sont donc un vrai levier économique, ont commencé à casser des vitrines (une pensée pour les familles des vitrines), à brûler des voitures, à s'amuser à déborder la police, à créer des cortèges sauvages polymorphes, qui se séparent et se reforment plus loin, pour rendre fous les CRS, avec un relatif succès. Des gens de classes sociales plus diverses donc, se sont politisés sur le chemin, leurs revendications changent, se durcissent, deviennent plus holistiques et cohérentes et aujourd'hui tout pourrait basculer.

Révolution avant la dinde aux marrons ? Probablement pas, mais un réveillon du 31 sur les Champs qui s'annonce un casse-tête pour la préfecture. Louis Vuitton doit trembler mais ça n'est pas pour nous déplaire, car tant que chacun.e d'entre nous n'aura pas le minimum pour vivre décemment, tant que notre Terre ne sera pas, devant l'argent, l'objet de notre respect, notre amour et de tous nos efforts, le luxe sera un crime contre l'humanité.

20 septembre 2018

J’AI MARCHE DE LA HAGUE A PARIS

ou « ce que je retiens des 500 km parcourus, de la vingtaine de conférences à laquelle j’ai assisté et des rencontres sur la route »

Antinucléaires en question

J’ai entendu parler de la Grande Marche sur une autre marche, figurez-vous. La Solidaire, celle pour les migrant.e.s de ce printemps. Etrange de vouloir ajouter, après 500 km de Dijon à Calais, 500 autres, avec les mêmes chaussures pour ainsi dire, pour une cause aussi fondamentalement autre. 

Mais d’une certaine façon, c’était nécessaire. Marcher engage le corps, engage l’esprit. J’en fais l’éloge à tou.te.s celleux qui se questionnent. Quelque soit la question, elle trouvera réponse en cheminant. N’excluez pas, néanmoins, d’en voir apparaître d’autres que vous n’aviez guère anticipées.

Si l’association éphémère qui organise la Marche se nomme sobrement « Nucléaire en questions », est-il vraiment ici possible de s’y tromper ? Remettre le nucléaire en question bien sûr est légitime, mais cela signifie d’avoir, sinon pris position, du moins une farouche envie de s’informer sur ce qui est caché, ce qui dysfonctionne. C’est donc une cohorte de convaincu.e.s qui marche et se joint aux conférences. Plutôt des antinucléaires, disons des gros mots.

C’est dans cette optique-là en tout cas, que moi je suis arrivée. J’étais contre cette énergie mais j’avais besoin de davantage être capable d’expliquer pourquoi. Comme ces intuitions que vous avez, et pour lesquelles on se moque de vous car vous n’avez pas d’arguments et passez pour un mystique.

Dans un pays où 70% de l’électricité est nucléaire, quand vous dites schématiquement que « le nucléaire c’est mal », on arrive rapidement au point « bougie » de la conversation. L’échange peut s’arrêter là. La sobriété et l’efficacité énergétiques sont des concepts presque plus difficiles à expliquer qu’à vivre. Mais j’avais déjà lu le scénario NegaWatt et j’avais donc quelques abstractions à proposer. Pour le reste, le danger réel du nucléaire, l’impact sur la santé, l’état des centrales, la sûreté et la sécurité, la législation, l’arme atomique, le retraitement et les déchets, je suis arrivée là aussi ignorante que curieuse. Et j’étais très curieuse.

Je marche donc je suis

Je suis une militante anticapitaliste tendance « convergence des luttes », dont le cheval de bataille principal depuis deux ans était davantage l’aide aux exilé.e.s que l’écologie pure. Je suis cependant végétarienne, décroissante et nomade depuis bien longtemps, en colère que la biodiversité s’écroule « pour que notre foutue société puisse regarder sa télé ». Je sais aussi que les citoyen.ne.s ont peu la main sur le décisionnel, l’exécutif politique. Si je marche, si je milite, c’est pour une rupture idéologique, une (r)évolution consciente, pas parce que je pense que les politiques vont nous regarder et d’un coup d’un seul se dire « OK, on arrête le nucléaire, vingt clampins qui marchent, ça force le respect ! ».

On est attiré par le format de cette marche, je trouve. Des étapes assez courtes, des conférences chaque soir ou presque sur des sujets variés, une alimentation végétale de qualité. A la base, je pensais ne faire que la moitié du trajet et puis j’ai rapidement su que, finalement non, j’irai avec eux jusqu’au terme. Août aura donc été le mois de l’émotion, de connaissances engrangées, de grandes amitiés déployées, de questionnements vastes.

Le choix des conférencier.e.s, le niveau d’expertise, les thématiques choisies et l’espace du débat avaient de quoi ravir tout le monde, néophytes comme militant.e.s déjà assez informé.e.s.

Parler avec des « hiboux » de la lutte de Bure, comprendre les implications de Greenpeace dans la lutte, les recours légaux possibles contre le nucléaire, les relations incestueuses entre EDF et Enedis nous ont conforté dans une certaine idée de l’importance de ce combat.

Une importance que nous pourrons porter ailleurs, dans d’autres sphères, sous d’autres formes, mais toujours avec détermination, car nous savons.  

Histoire et bilan de l’ère nucléaire

Du militaire au civil : le retraitement au service de la dissuasion

Je suis arrivée sur la marche à Bricquebec le quatrième jour et, ce jour-là, la conférence portait sur l’extraction du plutonium à la Hague. C’était une entrée en matière saisissante tout autant qu’affligeante de comprendre l’agenda politique qui se cachait, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, derrière le déploiement du nucléaire comme source d’énergie civile. En effet, dans le contexte du début de la guerre froide et de la renaissance militaire de la France finalement victorieuse, les politiques, en particulier le général de Gaulle, ont créé le programme nucléaire civil français pour déguiser leur volonté impérieuse de développer la bombe atomique au plutonium (celle déployée lors de l’attaque terroriste américaine sur Nagasaki, différent de la bombe à l’uranium d’Hiroshima). Ce choix stratégique impliquait de produire du plutonium, qui n’existe pas à l’état naturel et ce, par l’utilisation de réacteurs nucléaires et du retraitement du combustible usé, qui contient moins de 1% de plutonium, pour l’extraction de ce dernier. Une entreprise complexe, polluante, demandant de déployer un budget et une force de travail considérables qu’il fallait bien déguiser sous une couverture acceptable pour l’opinion. Et c’est ainsi que, alors qu’il ne s’agissait que d’une externalité d’une politique militaire qui a permis le développement et le remplacement de centaines de milliers de têtes nucléaires au cours du XXe siècle, les réacteurs nucléaires français furent présentés dans le discours politique comme des usines à énergie et l’usine d’extraction du plutonium de la Hague comme une usine de retraitement des déchets alors qu’elle ne réduit aucune radioactivité et qu’elle ne fait que produire lors du processus d’extraction du plutonium davantage de déchets nucléaires pour lesquels aucune solution pérenne n’existe, seulement des projets de stockage en surface, d’enfouissement et de dispersion sur le territoire dans des matériaux de construction…

Le discours ambiant rassurant sur le retraitement parle toujours de matériau recyclable qui pourrait être utilisé dans des réacteurs nouvelle génération mais ces technologies, coûteuses et dangereuses comme les EPR, Superphénix et différents réacteurs dit Moxés, ne sont pas au point (malgré le fait que la France les vend à l’étranger, en Angleterre, en Inde, etc) et on peut espérer pour le bien de l’humanité qu’elles ne le seront jamais, au point, pour éviter de faire peser sur les populations un risque de catastrophe à côté de laquelle Fukushima ferait figure d’incident sans gravité.

Aujourd’hui, le constat est assez terrifiant puisque le stock de plutonium (une matière dangereuse dont la surveillance doit être militarisée) en France est tel que désormais on réfléchit à en réinjecter dans les réacteurs pour le faire « disparaître »… on continue pourtant à l’extraire du combustible irradié car on ne peut reconnaître politiquement que la Hague a toujours été un outil militaire et on préfère nager consciemment dans l’absurde, causant aux écosystèmes et populations normandes des dommages irréversibles.

Nucléaire et démocratie : autoritarisme et centralisation

Le constat du lien fort entre l’Etat français dans sa puissante militaire et le lobby du nucléaire dans le pays permet de mieux comprendre les décisions arbitraires, la répression et les mensonges qui jalonnent partout le chemin du militant anti-nucléaire. On se souvient des images de la répression policière à Plogoff en 1980 où des dames âgées se font frapper au sol et du nuage de Tchernobyl « bloqué à la frontière » ; on ne s’étonne plus de l’entêtement, pourtant insensé, de l’Etat à construire à Flamanville un EPR déjà défectueux, dangereux et insuffisamment protégé des actes de malveillance (affaire du vol des 150 cadenas, affaire du survol du parc nucléaire par des drones, probablement israéliens ou russes que je vous laisse chercher dans la presse) avant même sa mise en fonction, ou encore plus récemment des miliciens de l’ANDRA (Agence Nationale pour la gestion des Déchets RAdioactifs) qui versent de l’essence sur des militants à Bure qui s’opposent à la destruction illégale de la forêt.

Aujourd’hui, le parc nucléaire français vieillit et sa vétusté non anticipée économiquement fait peser une lourde menace sur la sureté nucléaire et sur la sécurité énergétique globale de la France, dans le contexte de défaillances de plus en plus fréquentes et du changement climatique qui force des arrêts incessants de réacteurs, par défaut de refroidissement, sans compter le réchauffement des cours d’eau qui menace la vie halieutique. Le nucléaire a toujours été considéré comme une énergie peu chère, sans considération de la gestion des déchets sur des périodes « géologiques » dont le dimensionnement économique est impossible. Aujourd’hui, avec le projet du « grand carénage », autrement dit le grand rafistolage du parc nucléaire français, EDF se met dans une situation économique impossible en n’ayant pas envisagé la fermeture et le démantèlement et en poursuivant une fuite en avant financièrement démentielle et dangereuse. Comme pour quasiment tous les projets imposés par l’Etat dont les coûts sont systématiquement sous-estimés, la cour des comptes double ou triple les chiffres annoncés par EDF pour arriver à plus de 100 milliards d’euros pour donner seulement 10 ou 15 ans de plus d’un sursis bancal aux 19 centrales françaises et leurs 58 réacteurs, plutôt que de mettre cet argent dans la transition énergétique et le démantèlement, de toute façon indispensables.

Cet argent qu’EDF n’a pas actuellement du fait de sa situation financière catastrophique pourrait être récupéré auprès de l’économiquement florissant prestataire Enedis dont il est actionnaire majoritaire (à 70%) lors du déploiement sous-traité et sauvage du compteur connecté Linky. Cela explique les méthodes abjectes d’Enedis contre la résistance citoyenne aux remplacements des compteurs via des violations multiples de la loi (violation de la propriété, installations de nuit, intimidations des personnes vulnérables, …). Résister contre Linky est donc indirectement une action contre EDF et son programme nucléaire.

Le nucléaire est un argument fort de la centralisation du pouvoir national, seul capable de gérer des menaces aussi importantes que la dangerosité des réacteurs et autres sites nucléaires qu’il a lui-même mis en place. C’est par là une menace politique à la démocratie et l’autodétermination du peuple et une prise d’otage, notamment dans le cas d’une révolution, une guerre civile ou un effondrement de civilisation (ce qui n’est dans les faits qu’une question de temps).

Nucléaire et déchets : le projet-clé d’enfouissement à Bure

La problématique des déchets n’est pas nouvelle. Depuis le déploiement massif de cette énergie, et pas seulement en France, outre la sécurité et la sûreté, les gouvernements ont dû faire face à un nouveau type d’externalités qu’aucune autre industrie ne peut se targuer de produire : des déchets hautement toxiques, sans dose d’innocuité, dangereux sur un nombre de générations humaines inquantifiable. Jusqu’ici, la « gestion » a toujours été contournée, éludée et les déchets, aujourd’hui évalués à 1,5 millions de m3 en France (près de 5 millions prospectifs pour le démantèlement du parc existant) sont aujourd’hui un peu partout, aussi là où ils ne devraient pas être, « stockés » près des installations, dans des conditions mauvaises, avec une saturation désormais totale de toutes les structures, déplacés ça et là en fret ferroviaire trop peu radio-protégé. C’est comme si on avait construit un superbe loft sans prévoir de toilettes et qu’on se demandait seulement maintenant s’il valait mieux faire nos besoins dans la cuisine, dans la chambre, dans le bureau, centraliser ou en mettre un peu partout.

Mais revenons sur la production. Schématiquement, à la sortie d’un réacteur et une fois le plutonium extrait du combustible usé, 95% de ce qu’il reste sont des déchets de faible ou moyenne activité, stockés en surface ou à faible profondeur, mais le plus problématique reste les 4 à 5% qui constituent ce que l’on appelle les déchets HA pour Haute Activité qui sont très radioactifs (> 1GBq/g) et dont la demi-vie va de 100 jours à la bagatelle de 10 millions d’années. Là intervient le sulfureux projet CIGEO à Bure qui rencontre ce que j’appellerais sobrement « une certaine résistance ». L’idée est d’enfouir ces déchets, les plus dangereux, à 500 mètres de profondeur, dans une forêt (le bois Lejuc). Non content de s’occuper simplement de nos déchets franco-français (chacun sa merde !), l’ANDRA aime bien en importer, histoire de vendre la solution miracle du retraitement et de l’enfouissement contre de très juteux contrats, notamment au Japon et à l’Allemagne. S’il est courant de se poser la question de « ce qu’on peut bien faire d’autre que de les enterrer », l’idée que l’on ne pourrait pas les garder en surface (à l’œil) est facile à démonter puisque la place est bien trouvée pour la majorité du volume produit (les FA et MA, faible et moyenne activité). On dirait bien donc qu’on essaye de mettre la poussière radioactive sous le tapis. Il est inconsidéré pourtant de penser qu’une telle installation pourrait tenir une centaine de millénaires avec une maintenance adaptée. C’est absurde de même le suggérer alors que notre civilisation technologique ne peut pas survivre à l’érosion de la biodiversité et au pillage des ressources qui menacent la stabilité de tout un paradigme social. 100 000 ans pour une installation nucléaire, à côté les pyramides sont des jouvencelles, c’est un peu effarant. Pourtant, il est manifestement outrancier pour l’ANDRA et par extension pour le gouvernement que des personnes s’opposent à ce projet et les militant.e.s anti-Bure sont surveillé.e.s de près ; l’occupation est sévèrement réprimée et les lieux de résistance perquisitionnés dans l’illégalité. Pour la blague, la conférence sur Bure s’est déroulée dans une yourte sur un éco-lieu et nous avons été survolé.e.s par un hélicoptère durant la discussion, un peu de plus et on se serait cru à Notre-Dame des Landes.

Nucléaire et santé : héritage de Tchernobyl et mensonges d’Etat

Le sujet de la santé et du nucléaire a été évoquée plusieurs fois et je ne m’attarderai pas forcément sur cet aspect car les informations que j’ai ne sont pas d’une grande précision et je préfère vous renvoyer vers l’association ETB (Enfants Tchernobyl Belarus) qui fait un travail fantastique de financement d’un institut de radio-protection indépendant qui permet aux populations de Biélorussie touchées par l’accident de Tchernobyl (le nuage est partie vers le nord-ouest donc malgré le fait que Tchernobyl fut en Ukraine, la Biélorussie est davantage touchée) de pouvoir mesurer le taux de radioactivité des enfants et la radioactivité de leur nourriture pour identifier les sources de contamination. Les mensonges qui entourent Tchernobyl sont si grands que je ne peux que vous en donner un aperçu : aujourd’hui seuls 15% à 20% des enfants de la zone contaminée naissent en bonne santé, 10% avec des multiples maladies chroniques et la situation sanitaire s’aggrave en raison de l’instabilité génomique provoquée par l’accident sur la population, en absence de nouvelle contamination. La zone de Fukushima, quant à elle, reste désertée par sa population la plus jeune, seuls les anciens étant revenus dans leurs lieux d’habitation. Dans cette province, des écoles, crèches, salles de sport et salles des fêtes toutes neuves attendent une population qui n’y reviendra jamais, ne croyant pas à la propagande du gouvernement qui voudrait que la zone sinistrée retrouve sa prospérité et sa densité d’antan, en négation totale de la réalité de la contamination du sol, de la végétation et des constructions humaines.

Nucléaire et effondrement : un désastre annoncé

Quand j’envisage un sujet, je le place toujours dans un contexte d’effondrement (c’est mon côté optimiste !). La collapsologie doit être envisagée de façon transversale puisque le changement de civilisation implique forcement des refontes profondes des fonctionnements en place, des systèmes de valeur. J’étais assez surprise qu’aucune conférence ne lie spécifiquement nucléaire et effondrement mais j’imagine aussi qu’il faut toujours, même en parlant de Tchernobyl, garder une vision résolument optimiste de l’avenir possible à partir de l’existant. Hors, quand on pense à l’effondrement, il est assez complexe d’envisager une fin heureuse sans que le parc nucléaire n’ait été démantelé ou a minima les centrales arrêtées avant le collapse. Les conséquences d’un défaut d’approvisionnement en eau, en électricité, une impossibilité ou un refus des employé.e.s de se rendre sur leur lieu de travail pour prévenir la catastrophe et on se retrouve devant une situation immédiatement apocalyptique, avec un effet domino possible. L’urgence de sortir de cette énergie est avant tout là pour moi, il s’agit d’éviter que l’on ait à gérer cela pendant une grave crise alimentaire, une révolution ou un nouvel ordre mondial, quel qu’il soit, dont les dirigeant.e.s pourraient tirer partie pour faire du chantage sécuritaire à la population. Utiliser une crise pour déclarer l’état d’exception, n’est-ce pas ce que de tout temps les marchands ont fait pour faire avancer leur idéal de domination et de contrôle, sous de fallacieux prétextes sécuritaires, en réponse à des problèmes qu’ils ont eux-mêmes créés ?

Alternatives : les solutions renouvelables et leur véritable impact

Puisqu’il ne s’agit pas seulement de dire non mais de proposer des choses très concrètes, de nombreuses conférences sur les énergies renouvelables, le stockage et la décentralisation de l’énergie ainsi que sur les externalités des éoliennes et panneaux solaires furent proposées. Elles ont été l’occasion pour moi de comprendre l’évolution de ces énergies et de relativiser leur impact, que l’on juge toujours grand. Mais il faut aussi comparer ce qui est comparable. Alors qu’aujourd’hui il existe des technologies de panneaux solaires entièrement recyclables, il faut garder à l’esprit que, même si ça n’était pas le cas, les conséquences de leur retraitement et l’extraction des métaux rares ne seront jamais aussi graves que celles du déni des externalités du nucléaire. Au-delà de ces considérations, les possibilités de créer des projets individuels et collectifs, portés par des citoyen.ne.s, permettent d’envisager sérieusement une décentralisation forte de l’énergie, donc moins de perte dans les installations HT, probablement davantage de sobriété (si je produis moi-même, je consomme moins car je sais ce que ça « coûte »). Tout le monde y gagne, enfin, peut-être pas EDF. Meilleur ne veut jamais dire meilleur pour tout le monde.

Paysages normands et franciliens

Marcher crée un lien fort entre les gens, passer du temps ensemble à lever le nez vers l’horizon, à regarder les champs à perte de vue, à chercher la route, à deviser sur les plantes sauvages ou les histoires personnelles. Parcourir l’espace entre le Cotentin et la capitale en un mois nous rappelle que notre pays n’est pas si vaste, une information qui, avec la prédominance systémique de la voiture individuelle, échappe à notre perception. Pourtant, c’est aussi cela, remettre de la lenteur dans notre civilisation, qui pourrait en empêcher l’effondrement. Le moyen donc, la marche revendicative, au-delà de la cause, appelle à une réflexion.

Lentement, sans hâte, nous avons longé les champs de lin, de maïs, de blé tout juste moissonné, les canaux, les rivières, la Seine, les villages, les châteaux, les collines, les sources, nous arrêtant pour observer la faune, la flore, discuter avec les autochtones curieux, les sceptiques et les réfractaires. Un millier de tracts, de personnes sensibilisées, de citoyen.ne.s aux conférences. Nous avons entendu des klaxons de soutien sur toutes les routes, des voix d’encouragement sur tous les chemins. Et nous avons finalement atteint la Défense puis les Invalides. Il fallait bien que cela s’arrête à un moment.   

Continuer de marcher

Partir de la Marche ne s’est pas fait sans un peu de tristesse. Pourtant, de part les hasards qu’elle a fait naître, les ami.e.s qu’elle a réuni.e.s, les discussions animées qu’elle a engendrées, la Marche ne se finit pas vraiment dans le temps. Ainsi chacun.e de notre côté, nous continuons de cheminer, de convaincre, d’aller vers cet avenir sans nucléaire auquel nous aspirons tou.te.s.

Un monde sans cette épée de Damoclès qui nous menacerait à tout moment, ou du moins un monde où ce risque n’est pas nié, puisque dès lors que des déchets existent déjà, il faudra les gérer. Sortir du nucléaire demande de se retrousser les manches, d’ouvrir grand les yeux sur la réalité de ce que cette énergie nous coûte, non pas financièrement mais écologiquement, humainement, démocratiquement, au niveau de la résilience de notre civilisation.

Malheureusement, c’est comme fumer, il ne fallait pas commencer !

22 juillet 2016

Nous sommes l'état de nécessité

A nos élites, le gouvernement, les complexes militaro-industriels qui contrôlent les media, ceux qui décident d’envoyer des soldats français bombarder des positions soi-disant stratégiques et ont tué des centaines de civils, d’hommes, de femmes et d’enfants innocents en Syrie. Ceux qui arment le Moyen-Orient et tous les ennemis des droits humains dans le monde, à hauteur de plusieurs centaines de milliards de dollars par an.
Vous êtes en guerre, pas nous.

Aux lobbyistes qui ont une vision si court-termiste qu’ils acceptent de donner et recevoir près d’un milliard d’euros de pots de vin par an à Bruxelles pour bloquer les lois exigeantes au niveau social ou écologique, rajoutent ces alinéas qui permettent de les contourner, rajoutent ces délais qui laissent tout loisir aux multinationales de continuer les mêmes pratiques « seulement encore quelques années, c’est promis ». A ceux qui négocient TAFTA, CETA, TISA ou les futurs accords de libre-échange avec la Chine.
Vous voulez davantage d’argent, pas nous.

Aux politiques qui ignorent l’opinion publique et légifèrent la libéralisation sauvage, la fin des droits des travailleurs, vendent les services publiques, pillent l’état pour sauver les banques. A ceux qui achètent la paix sociale en subventionnant les éleveurs pour faire oublier que la grande distribution prend une marge brute supérieure au coût de production, ceux qui exonèrent d’impôts les entreprises qui sponsorisent les manifestations sportives et veulent endormir les aspirations collectives de liberté, d’égalité et de fraternité par du pain et des jeux. Ceux qui regardent avec bienveillance l’évasion fiscale et condamnent en justice les lanceurs d’alerte comme Antoine Deltour. Ceux qui n’ont jamais demandé à la grande distribution le paiement des amendes de fraude aux permis de construire des supermarchés, suffisant pour effacer la dette de notre paix.
Vous voulez davantage de pouvoir, pas nous.

Aux media qui aspirent à une guerre civile et qui pour ça sont prêts à faire passer ceux qui luttent contre le néolibéralisme pour des terroristes, qui traitent de casseurs ceux qui ont le malheur de se camoufler le visage pour ne pas être fichés, ne parlent jamais des luttes frontales contre le système et si peu souvent de constructions alternatives, juste un peu pour faire joli et pouvoir se défendre d’être des vendus.
Vous voulez contrôler nos esprits, vous échouez.

A ceux qui ordonnent à la police d’encercler les manifestants, de les charger, de les gazer, sans qu’ils sachent que ces derniers sont nassés et n’ont aucun moyen de se replier ailleurs. A ceux qui déploient des policiers en civil pour tabasser en douce les gens habillés en noir à la sortie des manifs. A ceux qui assignent à résidence sous couvert d’état d’urgence, ont ordonné de bloquer des citoyens engagés dans la Bourse du Travail le 28 juin pour les empêcher d’aller manifester. A ceux qui mandatent des policiers déguisés pour casser et vandaliser des lieux symboliques parce qu’au bout d’une heure, ils n’ont pas réussi à pousser des centaines de « sauvages » encerclés et excédés, à le faire.
Vous voulez nous diviser, vous échouez.

A l’extrême-droite qui se réjouit des morts, des mutilés des attaques contre la France et nourrit un amalgame froid et pervers, s’assit sur le bon sens, scande les mêmes refrains délétères depuis vingt ans, croit qu’elle a gagné en puissance, en crédibilité, en éligibilité, en promettant une sécurité que seule la paix interne, l’amour et la tolérance nous apporteront. Les otages de Daesh disent que les terroristes sont sans arrêt sur les réseaux sociaux pour savoir comment on communique autour de leurs actes et qu’ils sont extrêmement déroutés lorsque l’on diffuse des messages de paix et d’amour pour les communautés musulmanes. Si vous n’avez pas compris ça, Marine et Marion, vous êtes et vous resterez toujours sur la touche.
Vous voulez la peur, nous ne vous la donnerons pas.

A tous ceux-là, ceux qui pensent nous gouverner, nous contrôler, nous garder en état de stase. Vous avez tort. Nous sommes debout, nous sommes libres, nous sommes ingouvernables.

Vous avez perdu.

L’alternatif énergétique, social, agricole, monétaire, fleurit partout. Le peuple a conscience de vos manigances, il ne vous fait plus confiance. Il s’organise. Il fait autrement. Il fait lui-même. Il se parle. Vous avez raillé Nuit Debout, pourtant même si le mouvement lui-même ne rassemble plus autant sur la place de la République et partout en France, les gens désormais se connaissent, ils ont parlé de leurs espoirs, ils se sont comptés.

En manifestation, une foule de plus en plus intelligente et solidaire se construit, capable de s’organiser en street medics, en milice de rue pour protéger les citoyens des charges de police, en media indépendants en première ligne malgré les dangers, en une diversité sublime à faire pâlir le soleil. Pendant que la police gaze les blessés à terre, ces blessés qu’elle est si mauvaise à compter, les manifestants forment des cordons spontanément, les medics soignent. On est loin de ces foules enragées dont on parle sur BFM TV.

Mais c’est dur pour les élites d’avouer qu’elles ont perdu, que ceux qui veulent la chute du système ne sont plus une minorité, que ceux contre lesquels elles luttent ne sont pas une horde informe mais un système stratégique avancé, solidaire et déterminé, qui gagne chaque jour du terrain sur le mensonge institutionnalisé et le terrorisme d’état.

Rendez-vous à la rentrée alors, lorsque ceux qui profitent de leurs congés payés rentreront de vacances avec une gueule de bois au goût de 49.3... J’espère que vous serez prêts.

Car nous, oui. Nous n’oublions pas l’article 35 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 24 juin 1793. Nous sommes debout et libres. Déterminés mais toujours et avant tout pacifiques. La paix seule peut mener à un monde meilleur.

Vous êtes en guerre parce vous agonisez, mais nous, nous ne faisons que naître.

26 janvier 2014

Vers la Sobriété Heureuse

Cette démarche, initiée par ceux qui souhaitent redéfinir les contours et l’emprise de notre société sur leur vie, repose sur des fondamentaux qui peuvent être propres à chaque individu mais s’articulent principalement autour des grands axes suivants :

- Le refus d’une société de la surconsommation par la construction de l’autonomie et la redéfinition des besoins individuels

- Le refus de nuire, en étant complice de l’exploitation des populations et des ressources naturelles des pays en développement et émergents

- Le respect de l’environnement pour garantir un avenir durable à l’humain et aux autres espèces

- L’enrichissement de la vie individuelle par le renforcement des liens sociaux et des interactions désintéressées entre les individus

Ces considérations, non utopiques car elles sont partagées par des millions de personnes, permettent d’amorcer progressivement et durablement une transition sociétale grâce à laquelle il est possible d’envisager plus sereinement une société qui remet l’humain, localement et solidairement, au cœur des décisions qui l’affectent.

La Sobriété Heureuse ou Simplicité Volontaire est l’exact opposé du fatalisme ambiant qui déresponsabilise l’individu en tant qu’acteur de son existence et inhibe les réflexions constructives et la volonté d’agir contre le paradigme erroné de la croissance infinie basée sur la surexploitation humaine et naturelle.

A l'opposé du green-washing, cette démarche ne s'incrit pas dans la consommation alternative ou la consommaction mais bien dans un changement profond qui accepte la notion de sacrifice de la facilité et du confort, au profit d'une cohérence personnelle.

Sur ce blog qui se veut simplement être une collection de pistes de réflexion, j’invite chaque personne à s’exprimer si elle le souhaite et à ajouter/débattre/critiquer sur les thèmes évoqués et sur tout ce qui vous paraîtrait pertinent.

17 janvier 2014

Pensée alternative

La pensée alternative repose sur une logique qui refuse de prendre en compte l'argent comme finalité et se base sur ce qui est possible et éthiquement acceptable pour mener une vie en tout point responsable et heureuse. Elle mise sur des sacrifices relatifs qui ne remettent pas en cause le niveau de vie et de confort que nous avons acquis lors de ces dernières décennies mais éliminent le gaspillage et le superflu, qui n'ont pas d'influence sur le bonheur.

La Sobriété Heureuse repose sur une approche qui transcende le consumérisme et tous paradigmes reposant uniquement sur des aspects économiques.

LA PENSEE ALTERNATIVE EN ACTION :

- Réfléchir systématiquement à chacun de ses actes d’un point de vue global en multipliant son impact, social et écologique, par 7 milliards d’êtres humains.

C'est le point de départ. Chaque individu a une action assez insignifiante sur notre société et son fonctionnement. C'est néanmoins en partant du principe que de nombreuses autres personnes vont réaliser les mêmes raisonnements qui vont les amener aux mêmes conclusions qu'il est possible d'envisager une action durable et un effet réel.

Cela vaut pour les actions positives comme pour les actions négatives. Donner une toute petite somme d'argent à une association, donner 1h de son temps, c'est participer activement au projet de celle-ci. A l'inverse, acheter un article premier prix au supermarché, c'est cautionner activement un mode de production et de distribution.

Aucun acte n'est réellement anodin puisqu'il est potentiellement effectué 7 milliards de fois.

- Accepter de payer plus cher des produits plus éthiques.

La question économique revient souvent lorsqu'il s'agit des produits dits "éthiques". Cette appelation est à nuancer et à prendre avec des pincettes. Les labels commerciaux ne sont en aucun cas des garanties du produit "parfait".

Un article produit dans des conditions sociales acceptables sera forcément plus cher à produire. Cette différence peut être accentuée ou diminuée en arrivant jusqu'à l'acheteur mais il ne faudra pas en tirer de conclusion hâtive.

Moyennant ces précautions, on peut souvent constater qu'un produit local, frais, biologique, ... peut être plus cher pour une multitude de raisons, qu'un produit conventionnel. Il convient de se questionner alors sur l'importance que l'on donne à encourager telle ou telle initiative. La majorité du temps, la différence se justifie amplement. C'est également une mise sur l'avenir, à savoir qu'un produit sur lequel la demande augmente verra ses volumes de production augmenter et donc ses tarifs logiquement diminuer d'autant.

Il est aussi vrai que les économies réalisées par ailleurs en faisant tout soi même et en se passant du reste sont suffisamment substantielles pour ne plus guère se poser la question ensuite.

- Penser de façon non-conventionnelle à la gestion du quotidien et à la résolution de chaque problème. Diffuser ses idées et en débattre pour les faire mûrir.

C'est souvent en repensant notre rapport au temps que l'on peut avoir une vision alternative de la gestion du quotidien. Si l'on a à peine le temps de se faire à manger avant de s'écrouler et recommencer le lendemain, il y a peu de chance que l'on se demande comment fabriquer soi-même son détergent ou trouver un moyen de se passer d'une chose dont on a l'impression d'avoir absolument besoin.

Il s'agit en fait d'une curiosité qui se retrouve, lorsque l'on a le temps, de résoudre tous les besoins du quotidien par des initiatives basées sur la récupération, l'entraide, le fait-maison dans tous les domaines (bricolage, cuisine, informatique, cadeaux...). Cela peut être stimulant que de se dire : "je décide que cela ne me coûtera pas un centime" ou "moins de 2€ et sans impliquer de plastique", etc. Créer est un facteur indéniable de bonheur. Et quelle joie de montrer sa débrouillardise aux gens que l'on aime !

- Débarrasser sa vie d’un superficiel qui alourdit et complique l’existence. Redéfinir sa notion de besoin et de réussite sociale. Faire ce que l’on aime, sans attendre l’hypothétique pouvoir d’acheter sa liberté de le faire plus tard.

La société travailliste s'appuie sur la promesse factice selon laquelle l'employé troque son travail contre de l'argent qui lui permet d'acheter la liberté de faire ce qu'il souhaite pendant son temps libre et quand il sera à la retraite. Le temps perdu à effectuer une activité, si elle n'est pas source de bonheur, ne peut être compensée par un gain d'argent. 

- Ne pas acheter/faire des choses juste parce que c’est possible. Réfléchir aux conséquences.

Beaucoup d'objets, notamment fabriqués en Asie, ont un prix modique, voire ridiculement bas. Il est dans ce cas possible, bien que non souhaitable, d'acheter des choses sans même savoir si cela servira. Juste, dans le doute. Mais l'impact environnemental et social est bien réel.

- Economiser l’énergie (électricité et essence) par tous les moyens possibles.

Toutes les personnes un brin sensibilisées à l'environnement le savent, la seule énergie propre c'est celle que l'on ne consomme pas ! Il est possible d'économiser une grande quantité d'énergie sans que cela ait d'impact sur notre confort : éteindre les appareils en veille, éteindre les lumières, ne pas mettre le chauffage lorsque l'on est pas là, ne pas prendre la voiture pour faire 500m, cuisiner des quantités plus importantes,... et autres initiatives de bon sens. On peut aller plus loin en décidant de limiter son activité internet (notamment sur mobile) et de regarder moins la télévision.

- Privilégier les activités mutualisées, la colocation, la collaboration et le troc.

Toutes les actions effectuées en commun (déplacements, ...) et les objets réutilisés ou partagés mènent à des économies substantielles d'énergie et de ressources ainsi qu'au développement de relations saines et désintéressées entre les individus.

- Ne pas accepter que l’argent soit le centre de l’existence humaine et le considérer comme un simple moyen d’échange, une énergie à faire circuler.

Le frein à l'émergence d'une société plus juste et d'une distribution plus équitable des richesses est une inertie importante du système économique et sa prédominence dans tous les aspects de la vie. En considérant l'argent comme moyen et plus comme but, on peut repositionner son existence et accepter de prendre davantage de risques et s'engager pour un monde plus juste.

- Se souvenir que la générosité n’est pas de donner ce que l’on a en trop et que l’on ne veut plus, mais bien partager ce que l’on possède, quitte à voir sa propre part diminuer.

La distribution mondiale des ressources nous met devant un constat à prendre en considération lors de toutes nos actions du quotidien : ce que l'on a en trop est en fait soustrait à quelqu'un d'autre. Se débarasser activement du superflu et rogner sur ce que l'on considère comme acquis, c'est favoriser la redistribution de la ressource et l'émergence d'alternatives.

- Exercer une activité sobre, c'est-à-dire ne nuisant pas ni à l'environnement ni à d'autres personnes, de façon directe ou indirecte.

Choisir son activité est un questionnement qui peut durer tout une vie. Qu'elle soit constructive, simple ou artistique, une activité sobre a la particularité d'être en cohérence avec vos valeurs et votre engagement, de façon responsable. Il est vital de toujours rester critique vis-à-vis des gens qui ont une position hiérarchique supérieure le cas échéant et à vos conditions de travail au sens large (consommation d'énergie, de matière, travail d'autres personnes, notion d'utilité de ce qui est produit ou réalisé). Une activité sobre remet l'humain au coeur de la problématique du changement, elle lui permet de s'épanouir personnellement au sein d'un groupe.

OBJECTION ! 

On ne peut pas tous être photographe, ornithologue ou maraîcher bio ! A part aggraver la crise en cessant de consommer, je ne vois pas ce que ça change, il faut bien gagner son pain.

A ceux qui disent que pendant que d'autres s'amusent, certains doivent faire tourner les turbines de la société, je réponds que lorsque l'on ne prend pas part à la consommation de masse et au gaspillage en redéfinissant sa notion de besoin, on n'a pas besoin qu'elles tournent si vite, ces turbines. Les activités artistiques et celles respectant la nature sont les principaux vecteurs de bonheur et d'échanges. Elles sont plus utiles, au sein d'une société en transition, que toutes les autres activités, qui peuvent continuer à exister mais dans des proportions drastiquement inférieures. De plus, la crise s'autoalimente par de mauvais choix de consommation, elle n'est et ne sera jamais le fruit de l'alternatif qui redéfinit le tissu économique de façon locale et solide.

23 janvier 2014

Alimentation

S'alimenter correctement est la problématique n°1 d'une société durable. Dans un contexte mondiale où l'élevage est le premier producteur de gaz à effet de serre et responsable du développement de souches bactériennes résistances, où l'économie délocalisée menace la souveraineté alimentaire en cas de crise économique, où 1/4 de ce qui est produit n'est pas mangé, où la même proportion des humains de notre planète ne mange pas à sa faim, où l'agriculture menace par les intrants chimiques toute la chaîne alimentaire, il est de notre devoir de choisir avec attention ce que nous mettons dans nos assiettes. Réaliser son impact, c'est comprendre que l'on encourage par ses achats un mode de production ou un autre.

"Et dire qu'il suffirait que plus personne n'en achète pour que ça ne se vende plus." Coluche

Je ne parle pas ici de santé. Ce blog traite de responsabilité individuelle envers la communauté. Il appartient à chacun de juger s'il veut oui ou non manger de façon variée et/ou diététique pour sa propre santé.

- D’une façon générale, limiter ses achats au supermarché car aucun compte n’est tenu des conditions de production et d’acheminement. En outre, les producteurs locaux ont une importance capitale dans l’économie alternative.

Les supermarchés ont grandement simplifié la vie des consommateurs au XXe siècle. Dans un contexte travailliste où le temps est toujours plus rare et précieux, pouvoir tout acheter au même endroit a de quoi séduire. Pourtant, le prix à payer est trop important pour accepter de s'en accomoder. Les modes de production, au service du système de gagnant-perdant, contribuent à l'aggravation de la crise économique dont on nous rebat les oreilles, à l'exploitation anarchique des ressources, à l'exploitation des populations et aussi de nos concitoyens, à une pollution insoutenable des océans et des sols, tout cela au seul service du capital.

- Manger globalement moins, juste le nécessaire pour être en bonne santé.

La société de consommation nous a rendu insatiables et gloutons. Se modérer, c'est aussi respecter la terre et apprendre la sobriété.

- Consommer des produits frais, locaux, biologiques, de saison. Vérifier la provenance des produits bio qui ont parfois pris l’avion.

La relocalisation de l'industrie agroalimentaire et le développement de petites exploitations agricoles durables densifient le tissu économique locale et rend un espace plus à même de se nourrir de façon autonome en cas de pénurie, d'embargo, d'écroulement de l'économie globale.

Le capital s'est emparé de l'agriculture biologique mais le logo AB ne rend pas un produit durable. Il faut tenir compte également de sa provenance et de son emballage.

- Limiter les achats d’aliments transformés, cuisiner à partir de produits bruts, faire soi-même ses yaourts, ses sauces, sa pâte à tartiner, ses gâteaux, …

Cuisiner n'est pas un plaisir pour tous. Il est vrai que cuisiner pour soi seul n'est pas toujours très stimulant. Néanmoins, lorsque cette activité est partagée, lorsque l'on prend de l'aisance, elle peut procurer énormément de satisfaction et va également dans le sens de la modération. Cela revient beaucoup moins cher, même en utilisant des produits bio et assure de ne pas absorber tous les conservateurs, colorants, intrants chimiques, matières grasses saturées qui envahissent tous les plats préparés.

- Boycotter les produits contenant de l’huile de palme (l’appellation « matière grasse végétale » est systématiquement de l’huile de palme) qui contribue à la déforestation galopante, à la confiscation de terres agricoles et au massacre abject des grands primates.

L'huile de palme est partout. Dans les gâteaux, le chocolat, la glace, le shampooing, les pizzas, les nouilles instantanées, le pain de mie ... Cuisiner à partir de produits bruts permet de s'en affranchir. De nombreux sites permettent aussi de fabriquer soi-même ses produits ménagers et d'hygiène. Une simple lecture des emballages permet d'en déceler la présence sous différentes appellations ci -après.

Vegetable oil, vegetable fat, palm kernel, Palm Kernel Oil, palm fruit oil, palmate, palmitate, palmolein, glyceryl, stearate, stearic acid, elaeis guineensis, palmitic acid, palm stearine, palmitoyl oxostearamide, palmitoyl tetrapeptide-3, sodium laureth sulfate, sodium lauryl sulfate, sodium kernelate, sodium palm kernelate, sodium lauryl lactylate/sulphate, hyrated palm glycerides, etyl Palmitate, octyl palmitate, palmityl alcohol.

- Limiter sa consommation de viande et de poisson (choisir soigneusement la provenance) ou être végétarien. 

Le cas de la viande est probablement le moins consensuel de tous. On oppose souvent les mangeurs de viande aux végétariens et chaque camp défend farouchement ses positions en méprisant l'autre. Etant végétarienne depuis presqu'un an, je reste néanmoins ouverte au débat sur le sujet car je le pense très important et je ne pense pas que l'on puisse le résumer à "bouffeurs de tofu" VS les autres.

Le débat sur la viande est un débat écologiste et éthique. Certains le résument au meurtre de 100 milliards de vies sensibles et conscientes par an. C'est un élément. Mais il ne convaincra pas l'immense majorité des personnes qui ne se rendent plus compte que ce qu'ils mangent a été vivant à un moment, ni ceux qui placent l'humain au dessus de toutes les autres espèces et considèrent normal l'asservissement de toute vie par l'homme (les spécistes).

Je serai plus pragmatique. Un kilo de viande demande la production de 16 kg de céréales et 15 m² d’eau, sans compter le bilan carbone. La consommation de viande d'un Français moyen sur 6 jours demande la même quantité d'eau que ce même Français moyen va utiliser pour se laver en 1 an. Nos choix en terme de consommation de viande ont davantage d'impact sur nos émissions de gaz à effet de serre que nos choix en terme de transport. Les émissions de la simple industrie de l'élevage constituerait selon une étude récente du WorldWatch Institute, 51% des émissions globales, davantage que les transports aériens, maritimes et routiers réunis.

Question poisson et fruits de mer, il est estimé que dans 50 ans, tous les océans seront vides si la consommation est maintenue avec cette pression sur le milieu. Ce sera sûrement moins car moins il y a à pêcher, plus il y aura un intérêt économique à tout prendre car les prix vont flamber.

- Limiter sa consommation de produits importés qui se sont banalisés dans notre quotidien mais ont un impact inimaginable (thé, café, chocolat, vanille, banane, noix de coco, …).

Nous vivons dans une société mondialisée où le chocolat, le café, les fruits exotiques, font partie de notre quotidien. Il convient néanmoins de se rappeler que ces produits viennent d'ailleurs et que leur transport demande beaucoup d'énergie et contribue beaucoup au changement climatique.

- Boire bien sûr l’eau du robinet.

Boire l'eau du robinet et ne pas consommer de jus industriels ni de sodas est un des gestes-clés. En évitant chaque année la production de 500 à 600 emballages plastiques et Tetrapak, on contribue à protéger les océans. 1,5 million de mammifères marins et de tortues meurent chaque année à cause d'ingestions de plastiques dans le monde.

On peut faire facilement des jus avec des fruits frais (éviter les fruits exotiques et agrumes) et c'est délicieux !

- Limiter tous les emballages, boycotter le plastique, réutiliser ses caisses, ses pots et ses sacs autant que possible.

Sortir du tout-plastique est une lutte de chaque instant. Pourtant, c'est un enjeu absolument majeur car une grande partie n'est jamais recyclé et ce qui est recyclé demande énormément d'énergie et d'eau. Diminuer le volume de ses poubelles est aussi une satisfaction.

- Produire si possible certains légumes soi-même. Apprendre à reconnaître dans la nature les plantes et aromates comestibles.

Pour ceux qui habitent à la campagne ou simplement disposent d'un petit jardin.

26 janvier 2014

Constats sociaux

Nous savons que :

- les inégalités sociales n'ont jamais été aussi importantes dans toute l'histoire de l'humanité. Les 100 personnes les plus riches du monde possèdent davantage que la moitié la plus pauvre de l'humanité, soit 3.500.000.000 personnes. Le système libéraliste qui tend à devenir la normalité nivèle les cultures et les pensées tout en favorisant le développement d'un vampirisme des peuples et des ressources naturelles au nom de la liberté et du progrès.

- le "travaillisme" est devenu la seule vérité sociétale et un paradigme indétronable. Il faut trouver un travail et produire pour mériter sa place dans la société. La place laissée aux loisirs et à la créativé est une place secondaire. Ceux qui ne produisent pas de richesses sont stigmatisés (fonctionnaires, chômeurs, ...)

- l'argent est le seul dieu que nous respectons. Toutes nos activités sont liées à un gain ou une dépense d'argent. Le bénévolat et le volontariat sont marginaux et jugés farfelus. La gratuité est considérée comme suspecte ou gage d'un manque de qualité.

2 février 2014

Les points clés d'un changement individuel

- Dire non au plastique, aux produits chimiques et à la consommation massive pour réduire la pollution notamment océanique, les décharges sauvages, sortir de la dépendance au pétrole, réfréner ses pulsions d’achats, ne plus consommer que l'indispensable au sens premier.

Comment ? Exemples : acheter l’alimentation biologique en vrac, acheter des produits d’occasion, faire ses courses avec un sac en toile, utiliser des sachets en papier (comme en Biocoop), avoir un verre pliable avec soi en soirée/festival, systématiquement aller vers le moins emballé, mutualiser, trouver des alternatives dans tous les domaines, …

- Refuser les aliments d’origine animale pour limiter la consommation et la pollution de l’eau, remettre à disposition l’alimentation utilisée pour les animaux d’élevage (1/3 de la production mondiale) pour l’alimentation humaine, augmenter son empathie envers toute vie pour un cercle vertueux vers davantage de cohérence.

Comment ? Diffuser la culture végane.

- Donner du sens à son travail/activité au sens large pour ne pas cautionner le système économique reposant sur la surexploitation des ressources et des population fragiles, davantage de bonheur, relocaliser l’économie et sortir du travaillisme.

Comment ? Se donner les moyens de faire ce que l’on aime, quitter un travail avilissant ou en opposition avec ses valeurs, ne pas travailler pour de grosses sociétés, faire du bénévolat.

- Echanger sans agressivité pour diffuser son engagement sans imposer et en acceptant les avis divergeants pour enrichir sa démarche.

4 février 2014

Pourquoi j'ai décidé d'être végétalienne...

"Ah, le gang des bouffeurs de tofu ! Ils croient qu'ils peuvent nous convaincre de quoi que ce soit avec leur dogme de hippies et leur bouffe dégueulasse. J'aime la viande, personne ne me dira ce que je peux manger ou pas !"

J'hésite toujours à aborder ce sujet car ce qu'il y a dans notre assiette fait partie de notre identité donc toute remise en question est difficile et soumise à une vague d'interprétations. Mais il s'agit probablement du plus important dont je puisse parler sur ce blog. C'est d'autant plus important que, davantage que nos choix de transport ou de consommation au sens large, c'est bien notre consommation de produits issus de l'élevage qui a l'impact le plus important sur les émissions de gaz à effet de serre et aussi la pollution des sols et des nappes phréatiques.

Mais, au delà de considérations écologiques, manger de la viande à tous les repas, c'est aussi s'assurer indirectement qu'une partie croissante de la population mondiale ne puisse pas se nourrir ou avoir un accès correct à l'eau, une situation qui ne peut aller qu'en s'aggravant avec la croissance démographique et l'occidentalisation des pays émergents. Alors pourquoi on n'en parle pas ?

Parce que la viande, c'est bon et c'est addictif. Sur ça, je pense qu'on se rejoindra tous et je m'en souviens encore, même si par ailleurs ça ne me manque absolument pas. Mais peut-on par ce seul "argument" justifier ce qui n'est ni plus ni moins qu'un holocauste animal ayant des conséquences absolument dévastatrices sur nos ressources, augmentant les injustices et les inégalités des populations et menaçant tout simplement notre futur ? Tout ceci ne tient même pas compte de statistiques effarantes : ce sont 100.000.000.000 d'animaux qui sont tués chaque année, des êtres vivants sensibles auxquels la plupart d'entre nous seraient bien incapables de nuire s'ils y étaient directement confrontés. Ces animaux sont abbatus dans des conditions atroces, pendus par les pieds et égorgés, broyés vivants, électrocutés, ... En y pensant, je le sais bien, on a juste envie de mettre des oeillères et de se le sortir de l'esprit. Si ce n'est pas plaisant d'y penser, pourquoi serait-ce juste de le cautionner ? Si nous décidions de nous reconnecter au monde animal ?

Parlons à présent de l'impact de la consommation de viande dans le monde. La viande avant d'en être était un animal, qu'on a dû nourrir pour le faire grandir, qui a eu besoin d'eau et aussi de médicaments à cause de la promiscuité et des infections. Parmi les surfaces de culture utilisées dans le monde, environ 1/3 est dévolue à l'alimentation humaine et 1/3 à l'alimentation animale (le dernier 1/3 est gaspillée). Ce qui signifie en d'autres termes que la moitié des ressources issues de l'agriculture est utilisée pour alimenter des animaux qui vont restituer l'énergie avec un rendement évidemment médiocre. L'animal va utiliser sa nourriture pour produire sa viande mais une grande partie du bilan nutritif sera perdu ainsi qu'une grande quantité d'eau, 15m² environ par kg de viande. Ils ont en somme leur propre empreinte écologique puisque ce sont des êtres vivants ce qui rend d'autant plus importante celle de quelqu'un qui en consommerait, comme c'est le cas actuellement, 300g par jour en moyenne en France.

La viande n'est évidemment pas le seul produit résultant de l'élevage intensif. Le lait, le fromage, les oeufs sont également incriminés et dans des proportions également importantes puisque ce sont les fruits de ce même élevage et de ses excès.

"Bon j'ai compris, mais il faut bien des protéines et du calcium ! Quid d'éventuelles carences ?" Vous serez peut-être surpris mais aucun nutriment présent dans la viande et les produits animaux n'est irremplaçable de façon simple. Au contraire, être végétarien ou végétalien rend infiniment plus sensible aux problèmes de nutrition et permet de manger de façon plus variée et bien plus saine. Les protéines et le fer se retrouvent dans les lentilles, le soja, certains céréales riches comme le blé et l'épeautre. Varier les céréales permet d'avoir un apport suffisant dans tous les acides aminés importants. Mais comment faire une quiche ? des crêpes ? un gateau ? C'est enfantin. Une huile végétale remplace le beurre, un lait végétal le lait de vache, les oeufs peuvent être substitués par de la maïzena légèrement dilué, tenant ainsi lieu de liant, ou encore une banane écrasée (!). Le calcium est abondamment présent dans les légumineuses et oléagineux. Seule la vitamine B12 peut manquer à l'appel car nous vivons dans une société aseptisée et cette vitamine se retrouve dans la terre et les matières fécales (il est fabriqué par notre corps mais... à la sortie). Il faut donc prendre un complément approprié, qui se trouve très facilement. En fait, les animaux d'élevage sont eux-mêmes complémentés en cette vitamine à cause de l'appauvrissement des sols.

CONCLUSION

Il s'agit d'un choix, d'un engagement important et qui peut apparaître comme un sacrifice. J'ai souhaité le faire pour montrer que cela est possible, que si je peux arrêter, alors tout le monde peut réduire. Il n'est pas nécessaire que plus personne ne consomme des produits animaux, nous avons besoin dans une moindre mesure du fumier et de conserver le patrimoine culinaire de nos régions. Consommer beaucoup moins est déjà un engagement en soi.

Être végétarien par solidarité avec le Tiers-Monde

Manger moins de viande ou plus de viande du tout, limiter ou supprimer sa consommation de produits issus de l'animal en général, c'est prendre conscience de ces réalités pourtant ignorées ou niées et faire un pas individuel vers une meilleure répartition des ressources pour les pays du Sud emprisonnés dans l'exportation et l'élevage intensif, mais aussi contribuer à une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre. Cette démarche ne peut s'inscrire que dans une volonté globale de changement et ne peut être compensée par une alimentation plus industrielle ou importée de plus loin.

Ainsi, manger peu de viande et de produits animaux, seulement une fois par semaine ou une fois par mois par exemple, c'est s'engager de la façon la plus personnelle et volontaire possible vers une transition de société. Moins de pollution, plus de justice, moins de souffrance animale !

Une vie connectée

Si je ne vous ai pas convaincu, je vous propose de regarder ces vidéos créés par des vegans engagés : l'artiste Maxime Ginolin qui développe dans une pièce de théâtre l'impact environnemental de la viande et l'activiste Gary Yourofsky qui se concentre sur notre rapport à la souffrance animale.

Le discours le plus important de votre vie

Le Jugement

10 mars 2014

Le tabou démographique : mesures dérisoires et effet rebond

Après avoir abordé (car je suis "en plein dedans") la problématique de l'alimentation et son influence sur les interactions sociétales et l'environnement, je m'attacherai aujourd'hui à parler rapidement d'un autre tabou qui, comme ce que l'on mange, s'attaque à notre sacrosainte liberté : qu'en est-il de la liberté de procréer ?

C'est une problématique bien plus simple qu'il n'y paraît, à mon sens, et c'est l'expression, de nouveau, de notre impact personnel sur les sociétés humaines, de la force de notre pouvoir de décision au-delà de considérations politiques. Nous sommes assez informés aujourd'hui, pour que choisir de se limiter à deux enfants maximum ne soit plus une question de savoir, mais de vouloir ! La marginalité de cette réflexion, des livres qui en traitent et des associations que la défendent est absolument incompréhensible.

L'Homme a cela de différent de la majorité des autres espèces qu'il est capable de réaliser des choix qui dépassent ses instincts primaires. Pourquoi, alors qu'il est si intelligent et conscient que ses actes entrainent des conséquences, l'Homme n'a-t-il su se préserver avant que cela ne devienne problématique de l'explosion démographique ? Car on dit souvent que notre mode de vie n'est pas viable pour l'avenir. Il faut néanmoins nuancer ceci : notre mode de vie n'est pas viable pour l'avenir avec 9 milliards de personnes qui ne se décident pas à agir "parce qu'elles sont libres de faire ce qu'elles veulent". Il est viable selon les études (et quelques remises à plat énergétiques), autour de 500 millions de personnes. Quand étions-nous 500 millions ? Il y a environ 300 ans. Mais il faudrait encore bien moins de temps pour revenir à ce chiffre, moins de deux siècles avec une politique de planification familiale bien menée, de la sensibilisation et simplement en abandonnant les politiques natalistes. La France a une politique nataliste par excellence. Comment ? Par l'argent. Les allocations sont planifiées de telle sorte qu'il est infiniment plus facile d'élever 3 enfants que 2 au niveau financier. Pourquoi favoriser cela ? Pour payer les retraites. On pourrait imaginer que ça a du sens. Ca n'en a qu'au niveau économique. L'économie n'est pas la vie.

On dit souvent que les écolos veulent le retour à la bougie. Bien que je trouverais cela un tantinet plus romantique que la lampe à LED, je suis quand même séduite, comme tout un chacun, par l'idée de manger tous les jours et d'avoir un endroit tiède où dormir. Je trouve que le discours libertaire est infiniment plus extrémiste que celui des décroissants et des écologistes au sens large. "Je suis libre de faire ce que je veux" n'est ni plus ni moins que l'adage qui nous a mis dans cette m****. "Oui mais les autres ne feront pas l'effort, pourquoi moi je le ferais blablabla". Un argumentaire léger à mon goût.

Le problème, ou plutôt les problèmes sont d'agir vite et bien car deux choses sautent aux yeux lorsque l'on parle de développement durable :

- aucun changement politique ne s'opère ou alors de façon infiniment trop lente

- la population mondiale continue de croître de façon que même si l'empreinte écologique de chaque personne diminue, l'empreinte globale se maintient/augmente : c'est ce que l'on nomme l'effet rebond

"Alors, je suis libre ?" Oui absolument, mais pourquoi ne pas utiliser cette liberté et cette créativité à d'autres fins que la seule perpétuation de ses gènes ?

Il n'y a pas que la guerre, la famine, les épidémies, les pénuries, il y a avant tout notre raison.

Lien vers le site d'une association qui prône l'autorégulation : Démographie Responsable

7 novembre 2014

L'avenir des low-tech

Depuis plusieurs décennies, on ne jure plus que par les équipements électroniques qui envahissent tous les domaines de la vie. Là où il y a encore une vingtaine d'années seuls les ordinateurs personnels avaient apporté la complexité technologique au grand public, il n'est plus d'objets modernes désormais qui ne contiennent une part d'électronique, toujours en augmentation, de la voiture à la cafetière en passant par le téléphone et la carte bancaire. Cette 'high-technisation' du quotidien est une vision très court terme et très élitiste de l'avenir. En effet, ces équipements complexes, contenant des quantités faibles et donc difficilement recyclables ou réutilisables de métaux et terres rares, ne peuvent en aucun cas être généralisés à l'humanité entière, encore moins sur une période de temps excédant quelques dizaines d'années. Pas plus que les panneaux solaires ne peuvent assurer de façon pérenne l'avenir énergétique de l'humanité. Car en fait, ce que l'on appelle recyclage et que l'on veut faire passer pour l'étape ultime de l'écolo-économie, n'est en fait qu'une réutilisation tout à fait imparfaite, incomplète et énergivore d'un matériau. Et ce recyclage n'est possible et efficace que pour des quantités importantes d'un même matériau mono-bloc (par exemple une bouteille en verre). Dans le cas d'alliages complexes ou d'infimes inclusions de métaux comme c'est le cas dans les équipements électroniques dit high-tech, la réutilisation des éléments (au sens chimique de la matière c'est-à-dire l'élément métal atomique) n'est pas possible simplement, dans le sens d'une viabilité énergétique. Hors, ces éléments existent en quantité limité sur notre planète et ne peuvent être synthétisés pour remplacer un déficit de ressources minières de façon réaliste (à ce jour, seules la fission et la fusion nucléaire permettent de créer un élément chimique à partir d'un autre).

La réutilisation pérenne des ressources en métaux et autres éléments complexes qui ont apportées à la vie moderne son confort (non partagé à l'échelle de la terre mais ce débat est autre) nécessite donc une utilisation intelligente, mesurée, simplifiée et standardisée des éléments, toujours au sens chimique du terme, les plus rares sur notre planète. La vision low-tech de l'avenir, loin d'être passéiste, est résolument moderne et complexe dans le sens où elle doit utiliser toutes les ressources scientifiques et les erreurs du passé pour mettre au point une technologie qui soit à la fois simple, robuste (loin de toute obsolescence programmée), et mono-matériau, mettant en exergue l'utilisation de métaux, de verre et de matière organique, devant celui du plastique, illusion éphémère de la société du XXe siècle, dont le temps est déjà compté sur nos étals (davantage que dans les océans où sa présence et sa toxicité seront bien ultérieures à son utilisation massive). Cette simplification de la technologie, au lieu de diminuer le confort obtenu par l'industrialisation de l'économie permet de diffuser à l'ensemble des sociétés humaines ses bienfaits ainsi que de limiter à la fois l'impact sur l'environnement par les pollutions générées par le high-tech, qui sont considérables (pollution durable des sols et des nappes phréatiques) mais aussi pérenniser l'utilisation d'accessoires de confort, qui seraient évidemment mutualisés, autre condition sine qua non du développement humain au détriment de la financiarisation d'une économie avilisante. Moins de biens, davantage de liens.

En revenant sur la différence entre réutilisation et recyclage, j'aimerais revenir sur le faux-sens que le recyclage a pris dans la société moderne occidentale. Ce mot, utilisé à tort et à travers, a déresponsabilisé le citoyen de l'étape postérieure à l'utilisation d'un objet. Une bouteille de lait en plastique recyclable, tout comme une pile mise dans le bon conteneur ou un sèche-cheveux dans la bonne benne seraient sans impact. C'est évidemment ce que les industriels veulent faire croire mais ce ne sera jamais le cas. Seule la réutilisation des objets (économie circulaire, emballages consignés, ...) peut être considérée comme durable. Et au diable le greenwashing.

A nos actions personnelles !

19 août 2015

Choisir une activité sans rémunération : un positionnement philosophique

Le système capitaliste totalitaire, intervenant pourtant seulement récemment dans l'histoire humaine, a balayé d'un revers de main la totalité des autres systèmes sociaux potentiels et maintient son incontestable dominance, ainsi que son invasion parasitaire dans toutes les cultures humaines, par un refus farouche et déterminé d'ouvrír le débat sur les questions sociales, humanitaires et environnementales sans y inclure, prédominante et impériale, la question économique. La doxa dominante empoisonne, par une éducation aux seules consommation et compétition, les tendances naturelles humaines à la collaboration et à l'altruisme. Dans ce contexte, toute personne qui se positionne de facon tranchée contre le pouvoir de l'argent et du matérialisme sur nos sociétés sera immédiatement dénigrée sous différentes dénominations aux connotations, de vaguement à franchement, négatives. Le capitalisme a cela de fabuleux que sa dynamique est totalement endogène et qu'il est même capable de susciter et d'alimenter une révolte qu'il sera capable de maitriser, créant l'illusion d'une remise en question qui n'existe évidemment pas sur la scène publique.

Pourtant, de nombreux projets d'échange émergent, où l'argent n'est plus un élément conducteur de sens, remplacé par l'échange de temps, de connaissances ou de moments de vie et de partage simples. La nourriture et l'énergie appartiennent à la Terre mais l'homme peut en jouir de facon morale s'il ne détruit pas la source des bienfaits qui lui sont accordés. Un partage équitable des ressources n'est possible que sans accaparement et accumulation, donc sans argent. Il est dans l'intéret d'un systême totalitaire d'encourager ses initiatives mais aussi de les cadrer, et de leur donner une visibilité et une crédibilité limitées dans le temps et l'espace. Internet a considérablement accru le partage de connaissances et des échanges gratuits mais c'est aussi le royaume de la publicité, des informations non vérifiées et des vidéos de chats, et son impact écologique considérable équilibre mal ses potentiels bienfaits. A la vérité, Internet semble être davantage un domaine exutoire qui donne une illusion de liberté virtuelle dans une société qui ne laisse à ses citoyens qu'un nombre très limité de choix. Il est ainsi le parfait outil de la doxa dominante et il appartient à chacun d'en avoir une utilisation avisée.

Travailler sans être rémunéré peut paraître loufoque et absolument non viable. On imagine une situation transitoire, choisie ou subie mais qui ne peut être que limitée dans le temps du fait de la nature actuelle du fonctionnement sociétal dont personne ne pense pouvoir changer le moindre iota, même sur un long terme. Or, la réappropriation du temps au service de l'épanouissement personnel et de la construction de la société de demain est une condition indispensable à la mise en place d'une dynamique vertueuse qui replace l'humain au coeur de son existence, quand il en occupe, dans le paradigme sociétal dominant, la périphérie sous la forme du temps libre (soirées, week-end, vacances). Pour un nombre important de personnes, l'activité rémunérée est une condition de survie du fait d'un mode de vie qui rejoint ce que l'on nomme au sens large l'idéologie pavillionnaire ou pâtit simplement d'une dépendance importante à un confort occidental due ou non au développement d'une vie familliale sédentaire. Quoiqu'il en soit, de nombreuses personnes, baroudeurs, wwoofeurs, nomades, hermites et tous les développeurs d'autonomies, ont montré et montrent chaque jour à qui s'y intéresse que vivre sans argent ou presque est possible et que cela offre, à qui possède assez de volonté pour s'en faire un credo, cette liberté qui n'est pas celle de l'absence d'engagement mais celle de la possibilité de le choisir.

Si je fête en ces jours le cinquième anniversaire de la fin de ma vie professionnelle rémunérée, mon épanouissement dans le voyage, les projets écovolontaires et le partage de moments simples de vie avec des inconnus qui deviennent mon seul refuge et ce parachute imprévu qui pourtant me retient toujours, mon épanouissement, mon bonheur n'ont jamais été si grands et je voulais en témoigner.

A vous, mes amis.

12 juillet 2016

UEMSSI 2016 à Besançon : Atelier 1 - Smartphones au Sud

Notes prises à l'occasion de l'Université d'Eté des Mouvements Sociaux et de la Solidarité Internationale 2016 du 6 au 9 juillet sur le Campus de la Bouloie à Besançon.

Atelier « Smartphones et médias sociaux au Sud, des révolutions en cours… au service d’autres développements ? »

Je me suis rendue à cet atelier un peu par provocation étant donné ma critique ouverte vis-à-vis des smartphones, du coût social et environnemental de leur fabrication, du caractère immensément transitoire de cette technologie qui n’est pas soutenable d’un point de vue des matières premières, et de toutes les dépendances associées (dépendance à la technologie elle-même, aux multinationales qui la produisent) ainsi que le problème de la gestion et de l’utilisation commerciale des données récoltées sur les consommateurs. Néanmoins, je sais aussi que les smartphones rendent actuellement, notamment en Afrique, des services considérables au niveau social, sanitaire et économique, qu’il est difficile de dénier. Il me semblait donc pertinent de me renseigner sur cette problématique et de mettre un peu d’eau dans mon vin au contact de personnes ayant une opinion radicalement opposée, ce qui est toujours enrichissant.

Les intervenants de l’atelier faisaient partie de quatre associations utilisant les réseaux sociaux pour sensibiliser à leurs problématiques, notamment :

- l’OADEL, ONG sensibilisant à la consommation de produits locaux plutôt qu’importés et à la nutrition de bonne qualité en général au Togo

- Pour un Autre Monde, autre ONG œuvrant auprès des étudiants pour limiter l’exode rural en sensibilisant pour la restauration des terres dégradées via la permaculture et le reboisement au Burkina Faso

- Le GRAD, une ONG et maison d’édition avec pour thématique le développement durable (notamment livres pour enfants)

- Le GREF, GRoupement des Educateurs sans Frontières

Quelques chiffres

Il y a dans le monde 7,4 milliards d’êtres humains et les chiffres les plus récents font état de 7,4 milliards de téléphones mobiles utilisés par 5 milliards de personnes. C’est davantage que les équipements sanitaires de base (douche et toilettes). Parmi ces 7,4 milliards de téléphone, 3 milliards sont des smartphones.

Au Brésil, le temps passé sur les réseaux sociaux est désormais supérieur au temps passé devant la télé.

28% du temps passé sur Internet mondialement concerne Facebook.

7% seulement des informations diffusées sur les réseaux sociaux sont des informations dites « dures », faisant état de fait informatifs nationaux, internationaux, culturels, de sensibilisation…

Discussion

Les usages des réseaux sociaux et applications pour smartphones ont explosé au Sud durant les cinq dernières années menant à des utilisations inattendues et spécifiques à la situation des pays les moins avancés. Trois ont été développées :

- Un système d’information en temps réel sur le cours d’une denrée brute sur les marchés internationales permet au producteur de réclamer un prix juste lors de la vente de son stock, lui évitant d’être floué par des grossistes et intermédiaires peu scrupuleux.

- L’apparition de la cartographie participative permet de lutter contre de nombreux fléaux comme la corruption et tous les types de violence en signalant et géolocalisant les problèmes, permettant selon le cas une intervention de la société civile, un boycott, une protection des victimes.  

- Dans le domaine de la santé, pour les zones reculées où le personnel médical et insuffisant ou insuffisamment formé, les smartphones permettent de transmettre des informations aux médecins, de la simple prise de tension au diagnostic complet, voire à rendre possible, dans des cas extrêmes, une opération chirurgicale à distance.

L’Afrique de l’Ouest notamment utilise désormais le smartphone comme un outil de vie quotidienne ayant remplacé la carte bancaire via le transfert d’argent par SIM, même dans les villages les plus reculés. Cette utilisation, qui a considérablement simplifié la vie des habitants et rendu certaines activités et développements possibles, tout en sécurisant les transferts, posent des problèmes éthiques considérables vis-à-vis des multinationales et notamment d’Orange, dont le but non dissimulé est de faire rentrer les individus les plus pauvres, généralement considérés non solvables, dans le système économique mondial. La surtaxation des transactions financières les plus faibles et les prix élevés des communications ont mené à un boycott de l’opérateur au Mali couronné de succès. La concurrence entre de très nombreux opérateurs (en Afrique, les utilisateurs ont jusqu’à cinq cartes SIM d’opérateurs différents et s’en servent en fonction de la couverture proposée et des promotions tarifaires) permet de maintenir des prix soutenables. Il faut néanmoins considérer avec suspicion que les transactions financières les plus faibles, donc des populations les plus vulnérables, sont toujours taxées à hauteur de jusqu’à 40%, ce qui la maintient dans une précarité extrême. Dans nombre de cas, presque 25% du budget familial est alloué à la communication.

Une alternative émerge toutefois chez les hackeurs et adeptes du hardware libre au Sud : le développement d’une carte SIM libre, qui jouerait le rôle d’antenne et permettrait de se passer d’une dépendance à l’opérateur.

Conclusion

La discussion était très animée entre les intervenants émettant assez peu de réserves sur les smartphones et réseaux sociaux et des participants notamment de l’association ATTAC remettant en cause la totalité de leur discours, inquiets finalement que ces solutions aient un terme très court écologique et social, et ne rendent les populations que plus dépendantes de multinationales qui pillent jusqu’aux plus faibles revenus et dépendantes aussi d’un réseau qui peut extrêmement facilement être détourné, utilisé ou coupé par un régime totalitaire.

A vrai dire, les deux opinions me semblent extrêmement légitimes mais il semble qu’il faille nuancer et surtout ne pas se dresser contre des pratiques qui concernent surtout les peuples du Sud et sur lesquels ces derniers ont un regard beaucoup plus lucide que bien souvent le nôtre. On note en effet que les critiques internes du système, la mise en doute des informations ne citant pas de sources, et les différents types de luttes et d’appels contre les grandes firmes ont une portée très grande notamment en Afrique de l’Ouest. Loin de tout interventionnisme et même si nous avons tous une responsabilité de vigilance vis-à-vis de ce qui arrive à nos frères africains, nous devons je pense respecter leur avancée technologique et les laisser prendre en main leur destin et l’orienter comme ils l’entendront.

18 novembre 2016

L'avenir n'est plus ce qu'il était

Toi qui regarde tes pieds en ces jours sombres, lève les yeux et regarde l’horizon, l’horizon de ce que tu veux atteindre. Ne te laisse pas gagner par la morosité, la fatalité. Contrairement à ce que tu crois, nous sommes toujours aussi nombreux, nous avons simplement cessé de parler. Et cette parole, nous devons la reprendre. Parler lorsque nous sommes témoins d’une situation de violation des droits humains, parler pour ceux qui souffrent, humains et non-humains, parler lorsque la simplicité du raisonnement semble primer sur la compréhension profonde d’un monde effrayant de complexité. Retenir aussi que si ce jour est un revers, il y en eu d’autres et il y en aura d’autres. Nous devons plutôt compter et regarder nos victoires.

Plus que jamais et au sens premier nous devons rassembler, sur les places, dans les lieux de pouvoir, dans les lieux de production, les forces vives de notre union. Rassembler, ce n’est pas refuser de « se radicaliser » comme disent les media. Être radical aujourd’hui n’a plus aucun sens puisque cela veut dire faire simplement partie des 95% de personnes, peut-être davantage, qui ne se reconnaissent pas DU TOUT dans le système économique néolibéral et la façon dont il compromet la survie même de notre espèce. Qui voudrait construire un monde basé sur un paradigme entièrement différent, revisité, pluriel. Rassembler donc, autour de valeurs fortes, et en cela radicales, mais pourtant inclusives : la prise de décision par consensus, des échanges non marchands, le rejet des discours fascisants. Se réapproprier le langage et ne plus utiliser les expressions systémiques puisque le langage précède la pensée et le façonne.
Non, ceci n’est pas un démantèlement mais une déportation, ceci n’est pas un licenciement économique mais un accaparement des bénéfices, ceci n’est pas un dommage collatéral mais un meurtre étatique, ceci n’est pas une assignation à résidence d’écoterroristes mais la privation de libertés d’opposants politiques, ceci n’est pas une crise économique mais une économie de crise. Reconnaissons ainsi Donald Trump pour ce qu’il est. La potentialité d’un nouveau génocide. Mais se lamenter ne sert à rien. Tout ce qui s’est produit depuis vingt ans dans le monde occidental a convergé vers ce moment puisque nous n’avons pas désiré suffisamment ardemment l’empêcher. Parce que nous l’imaginions impossible. Parce que nous pensions pouvoir reconnaître le mal, même sans moustache.

« Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve. » Hubert Reeves

Ce que nous construisons par nos mots, nos quotidiens, par les mille gestes que nous désirons partager, ne contribue pas simplement au changement, il est le changement. Le colibri de la fable, celui qui essaye d’éteindre le feu, ne trie pas simplement ses déchets pour les mettre dans la bonne poubelle, il met la totalité de son énergie vitale dans l’espoir de pouvoir reconstruire sur plus que des cendres. Il nous faut du courage, du courage pour changer, du courage pour convaincre, pour expliquer notre point de vue sans jamais être dogmatique. Partager les outils que l’on connaît pour s’émanciper. Lire, échanger avec ce qui nous est étranger. Du courage, nous en avons plus que jamais puisque nous reconnaissons l’étendue de la menace. Il nous faut aimer ce qui ne nous ressemble pas et reconnaître que, même lorsque l’on veut inclure tous les êtres dans son cercle de compassion, qu’ils soient humains ou non-humains, noirs, jaunes, verts ou mauves, lorsque l’on souhaite consciemment ne pas exclure, ce n’est pourtant pas si facile. Nous devons néanmoins, je crois, essayer. Et être inclusif dans nos démarches pour ne pas s’isoler et rendre ce monde binaire, entre ceux qui ont peur et ceux qui ont peur de ceux qui ont peur. Le pouvoir nous enjoint à choisir une couleur. Es-tu rouge irréaliste ou bleu carnage ? Je ne suis ni l'un ni l'autre et encore moins entre les deux.

Je me lève simplement contre la barbarie qui vient.

20 juillet 2016

Le fable du colibri ou comment détourner un conte révolutionnaire pour asseoir l'emprise du capitalisme totalitaire

Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! »

Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. »

J'adore cette fable. Ce blog en porte la marque. Mais je ne supporte plus l'explication qu'on en donne et ses conséquences sur la perpétuation d'un certain fatalisme et l'apologie des "petits gestes" de la vie quotidienne. "On va dans le mur, mais j'ai mis ma brique de lait dans la bonne poubelle, ce ne sera pas de ma faute."

Comme un enfant de cinq ans le comprendrait aisément, la fable du colibri n'est pas celle des petits gestes qui changent petit à petit le monde, comme l'interprétation édulcorée et erronée qui en est faite par la doxa majoritaire capitaliste et totalitaire. Le colibri est petit mais il dirige la totalité de son énergie vitale vers un objectif plus élevé que lui-même. Il ne recycle pas trois boîtes de conserve, il ne donne pas dix euros par mois à une association, il ne fait pas une heure de bénévolat par semaine sur son temps libre. Ces gestes perpétuent le système, le nourissent par une déculpabilisation de l'individu et une formidable capacité à projeter de la poudre aux yeux. Or, cette fable ne prône rien de tel. Le colibri est engagé dans une tentative qui l'implique totalement, dans son énergie physique et intellectuelle, vers l'objectif d'éteindre le feu.

La force de travail de l'homme est son principal moyen d'agir sur le monde qui l'entoure, loin devant l'utilisation de son budget ou la gestion de ses déchets, mais la majorité des citoyens, subissant des pressions sociales immenses, ne se l'appropriera jamais plus que très partiellement au cours de sa vie. Pour redresser notre société malade, inhumaine et vouée à la destruction par la raréfaction des ressources non-renouvelables, chaque être humain a le devoir et la nécessité matérielle de disposer de son énergie dans le sens du bien commun, ou au moins, de celui de son bien individuel, ce qui est déjà une avancée formidable.

Il ne peut y avoir de remise en question du paradigme sociétal sans remise en question du travaillisme sur lequel il repose et sur l'utilisation de l'énergie humaine à des fins laborieuses, dans un contexte général. Le système est en effet alimenté par ses membres et si ces derniers décident d'exercer leur plein droit de disposer de leur énergie et de leur temps, ce système s'écroule instantanément. Le mythe selon lequel, si une personne ne remplit pas une fonction, une autre le fera à sa place contribue à confier pour toujours tout pouvoir à une caste de tricheurs. Or, dans le cas d'un boycott général de certaines tâches humainement, socialement et environnementalement destructices, une activité donnée ne serait plus perpétrée puisque les dominants ont besoin de fourmis besogneuses pour maintenir leur emprise.

22 décembre 2016

Le Revenu de Base : un nouvel outil néolibéral ?

J'aimerais engager une réflexion sur le revenu de base (le genre de discussion qui peut aussi être mise en place pour les Nuitdeboutistes) puisque j'ai récemment assisté à un certain nombre de conférences qui m'ont fait revoir radicalement mon opinion sur le sujet. Je sais en outre qu'énormément de mes amis et contacts y sont favorables. J'ai moi-même participé il y a quelques années à des campagnes de crowdfunding en faveur de différents outils de communication pour sa promotion auprès du grand public. Alors vous me direz, c'est quoi mon problème ?

Je ne pense pas avoir à redéfinir longtemps le Revenu de Base ; il s'agirait d'un revenu versé par l'Etat à tous ses membres, sur une base individuelle, sans conditions de ressources ni obligation de travail. Dans un contexte économique néolibéral de crise, où le taux de chômage ne peut, de façon systémique et inhérente, qu'augmenter, il assure en théorie un revenu suffisant pour assurer une vie décente à chaque citoyen.

Sur le papier, il s'agit d'une idée fabuleuse puisqu'elle permettrait à chacun de vivre dignement, d'éliminer les situations de laisser pour compte du cas par cas, cela tout en étant, dans cette société de consommation qu'est la nôtre actuellement, toujours incitatif à travailler quand même, pour pouvoir consommer de la technologie et du superflu.

Cette idée m'a séduite pendant des années car elle est superficiellement égalitaire. Elle me plaisait aussi pour des motifs purement égoïstes. Je voulais simplement qu'on cesse de me considérer comme une chômeuse en reconversion, en attente de "produire" de nouveau, que quand on me demande mon métier, je puisse répondre sans que ça paraisse ridicule ou marginal ce que je faisais vraiment : du volontariat à plein temps pour des associations, voyager et écrire un livre et de la poésie. Comme tout le monde je suppose, j'ai toujours voulu me sentir différente tout en étant intégrée. Je voulais d'un monde rempli d'artistes, de backpackers, de wwoofeurs et de militants qui s'assument, qui ne font que ça, et cette solution du revenu de base, dans une société où les richesses sont si inéquitablement partagées, me semblait diablement pertinente.

Aujourd'hui, je remets totalement en cause cette idée. Notre monde se heurte à des crises sociales, écologiques et humaines, qui ne seraient en rien résolues par un tel dispositif qui, bien au contraire, participerait pleinement et très fortement, quoique de façon déguisée, à l'autorenforcement du système néolibéral (qui nous mène à une fin de la civilisation à moyen terme) et à un nouveau verrouillage social. Je m'explique en quatre points.

1) Le revenu de base se satisfait du système totalitaire marchand. Il est une tentative de panser une plaie béante qui s'infecte. Il ne remet absolument pas en cause la marchandisation du vivant, la destruction des écosystèmes et le délitement des relations sociales interpersonnelles. Il ne lutte pas, il "s'inscrit dans". Il ne peut donc être que le symptôme d'une vision à court terme, une posture acceptant "l'éternel présent", cette vision selon laquelle on accepte que le futur n'ait aucun avenir et que tout ce qu'on puisse faire au mieux, c'est limiter la casse. C'est une vision éminement fataliste et non réaliste.

2) Le revenu de base fragilise les personnes qui ont besoin d'accompagnement et justifie le désengagement de l'état vis-à-vis de ces personnes. On ne peut nier que tout le monde n'a pas la même capacité à mener ses projets et sa vie, à se gérer. On demanderait avec le revenu de base que chacun se gère comme un capital sans tenir compte des spécifités de situation. Cela signifie une simplification des systèmes administratifs qui peut séduire au premier abord mais qui diminue considérablement les interlocuteurs potentiels pour justement envisager les cas particuliers. C'est un système où, notamment, l'Aide Pour le Logement disparaît, ce qui créé des disparités énormes entre ceux qui sont logés gratuitement et ceux qui ne le sont pas parmi les multiples exemples que l'on peut trouver. A vrai dire et devant le Revenu de Solidarité Active déjà existant comme revenu peu ou prou inconditionnel à partir de 25 ans, l'Etat a beaucoup à gagner et nous avons tout à perdre.

3) Le revenu de base ne se soucie pas de la provenance de l'argent. La France est le deuxième plus gros vendeur d'armes au monde par exemple. On ne peut améliorer le sort de l'humanité internationale en acceptant comme aumône les dividendes des manoeuvres honteuses de notre gouvernement.

4) Le revenu de base met en péril la révolution. En réalisant ce tour de passe-passe fabuleux de donner, sur le papier en tout cas, à tous les mêmes chances, il supprime en quelque sorte artificiellement la lutte des classes qui est le pilier de toute forme d'insurrection contre le néolibéralisme et l'oligarchie à sa tête.

Je concluerai en disant que le revenu de base est probablement la plus jolie fausse bonne idée et la plus pernicieuse parce qu'elle a des allures de progrès social et c'est là toute la force du néolibéralisme, l'autorenforcement de son emprise à chaque crise qu'il rencontre. On veut donner de l'argent aux gens pour acheter la paix sociale et leur permettre de continuer à acheter du bifteck argentin et des saloperies Made in China comme si de rien n'était. Comme si nous n'avions pas eu mille preuves que cette attitude n'était pas soutenable. Je ne suis pas d'accord.

Le système social français est l'un des meilleurs du monde et il peut encore être amélioré. Nous le défendrons par la rue. Par le combat contre la Loi Travail et son monde notamment.

15 novembre 2015

Le Zero Waste : un levier de changement de civilisation ?

Le Zero Waste en théorie

Bien que je ne défende pas la théorie selon laquelle une "consommation responsable" ou autre oxymore de la novlangue néolibérale puisse nous sortir de la purée économico-socialo-écolo-identitaire dans laquelle nous sommes, je réfute avec la même force le fait que changer ses habitudes domestiques ne soit qu'un leurre sans conséquences comme développé dans le court-métrage "Forget shorter showers".
Un positionnement politique militant n'empêche pas de vivre autrement et inversement. Au contraire, un choix de vie renforce une idée, lui donne vie, propage autour de soi une onde positive, prouve que l'on peut vivre heureux sobrement, différemment. C'est une condition nécessaire mais non suffisante. Une vie simple donne envie de défendre ses valeurs et donne un sentiment de sécurité et de légitimité puisque l'on ne saute pas dans le vide sans solution à proposer, en combattant le système capitaliste. On amorce déjà la transition.

Je m'intéresse dans cet article au Zero Waste, un courant écolo qui consiste à tendre asymptotiquement vers le fait de ne laisser derrière soi, au niveau individuel ou familial, soit aucun déchet non recyclable, soit aucun déchet tout court. La puissance de cette idée est qu'elle englobe presque automatiquement d'autres courants de pensée, la sobriété heureuse et la consommation localo-biologique. Pour cela, je dirais que le Zero Waste est un levier de civilisation puisque si les foyers ne produisent qu'une proportion infime des déchets du monde (moins de 5% seulement et les moins toxiques/polluants, la majorité des déchets étant produits par l'agriculture et l'industrie), le changement de perception que cette pensée engendre vis-à-vis de la notion de produit et de consommateur est capable de modeler, par l'intermédiaire de l'économie, la production elle-même. Certes supprimer 1/20 des déchets est insuffisant mais par effet boule de neige en somme, on peut en supprimer l'immense majorité.

Finalement, le blocage vis-à-vis du Zero Waste est davantage un blocage vis-à-vis de la notion de consommation où l'on ne se préoccupe pas du cycle de vie du produit et de la notion de citoyen-consommateur qui paraît si ancrée, même dans les milieux militants, qu'on ne sait pas comment s'en dépétrer. Lors d'un atelier citoyen que je coanimais il y a peu, on amenait un groupe à s'interroger sur les pièges à éviter par l'économie circulaire non marchande (mis en place dans les espaces libérés, par exemple sur la ZAD de Notre-Dame des Landes), pour ne pas retomber dans le dogme libéral. Les mots consommateurs et produits ont été prononcés plusieurs fois et remis en perspective lors du débriefing des mini-débats. Je les utilise moi-même dans ce texte. On ne sait pas quel mot utiliser pour certaines notions alors qu'il s'agit simplement de personnes ("citoyens" étant conotés politiquement) ayant besoin de manger et de se vêtir. Le discours dominant nous a vraiment contaminé jusque dans notre perception du réel et nos imaginaires. Nous n'avons besoin que d'être au chaud et de manger à notre faim. Le reste des besoins nous a été imposé et ne contribue pas toujours, et loin s'en faut, sensiblement à notre bonheur.

Le Zero Waste en pratique

L'alimentation est en fait le plus simple combat de l'aspirant Zero Waste, qu'il soit citadin et possède une épicerie biologique vendant en vrac près de chez lui, ou qu'il vive en milieu rural et ait à disposition une coopérative agricole, un moulin, une AMAP où il puisse faire le plein de légumes et de céréales, farines. Le Zero Waste demande néanmoins une organisation différente, des achats davantage "en gros", la volonté de se déplacer avec ses propres sacs et pots en verre. La diminution ou la suppression dans son alimentation des produits animaux peut aussi être une conséquence indirecte, mais pas forcément, certaines boucheries et fromageries proposant des emballages très légers et compostables. Pour aller plus loin, on peut se renseigner auprès du producteur pour savoir si l'aliment a été emballé à un moment donné, durant son transport. C'est le cas la majorité du temps.

Dans la salle de bain, être Zero Waste peut poser problème lorsque l'on a une peau très sèche ou des cheveux récalcitrants, mais lorsque ce n'est pas le cas, on peut s'en sortir avec un nombre faible d'articles Zero Waste : un savon non emballé (type Savon de Marseille bio) et un shampooing solide, une brosse à dents en bambou biodégrable, un dentifrice maison et un oriculi japonais (pour l'hygiène des oreilles).
Faire son propre dentifrice nécessite de l'argile blanche ultraventilée (pour ne pas abîmer l'émail), du bicarbonate de soude alimentaire (dont on pourra également se servir pour remplacer la levure chimique) ainsi que quelques gouttes d'huile essentielle de menthe. Mélanger l'argile et le bicarbonate à la proportion d'environ 5 pour 1 dans un petit récipient de préférence en verre, avant d'ajouter la menthe. Il est recommandé de ne pas ingérer le dentifrice malgré tout à cause de l'argile.

Mais Zero Waste, c'est aussi refuser d'acheter des articles neufs emballés sous plastique (jouets, articles de bricolage, piles, appareils électroniques, DVD, etc) y compris lorsque l'on fait un cadeau. On peut à peu près tout récupérer d'occasion ou mieux, réparer ou faire soi-même et le surcroît d'énergie que cela demande permet de réfléchir à la véritable utilité que l'on aura de l'objet, et dans la majorité des cas, en arriver à la conclusion que l'on peut s'en passer ou faire autrement, plus simplement. 

Le Zero Waste n'est pas une solution miracle ou un positonnement révolutionnaire. Il faut s'organiser politiquement, construire un nouveau paradigme. Mais dans cette optique, réduire nos déchets à zéro n'est pas une option non plus. C'est une condition supplémentaire à garder une planète vivable pour les générations futures.

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