Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Résistance et transition
12 juillet 2016

UEMSSI 2016 à Besançon : Module sur le néolibéralisme et le libre-échange - Jour 2 - Les traités de libre-échange

Notes prises à l'occasion de l'Université d'Eté des Mouvements Sociaux et de la Solidarité Internationale 2016 du 6 au 9 juillet sur le Campus de la Bouloie à Besançon.

Module « Vers la fin du régime de libre-échange ? Luttes pour démanteler le pouvoir des multinationales et pour un régime commercial au service des droits humains. » - Jour 2/3

Le TAFTA

Le Transatlantic Free Trade Agreement (TAFTA) ou Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) ou encore Traité transatlantique de libre-échange est un traité en négociation depuis juillet 2013 entre les USA et l’Union Européenne. Ces négociations, malgré leur grande opacité, ont acquis une visibilité à cause de la législation états-unienne peu exigeante et de la mauvaise réputation des multinationales américaines. Les lobbies industriels ont un accès privilégié au processus de négociation de ce traité. Le parlement européen n’a aucun pouvoir dans celle-ci, il est seulement « débriefé » après les réunions du comité de rédaction.

Le TAFTA apporte des nouveautés par rapport aux accords de libre-échange existants entre les pays industrialisées : il ne parle plus seulement des accords de commerce (simple échange de biens et de services) ; il propose un cadre législatif et juridique pour minimiser les entraves au libre-échange (réorganiser et harmoniser les dispositifs institutionnels « subjectifs » des états) via deux organismes : l’ISDS (tribunal des multinationales) et la Coopération réglementaire. Néanmoins, ces dispositifs ne sont pas une nouveauté dans le commerce international. Ces systèmes existent déjà entre l’Europe et leurs anciennes colonies et furent institutionnalisés la première fois il y a 60 ans par l’Allemagne dans le cadre d’un accord avec le Pakistan.

La Coopération réglementaire est un organisme indépendant des états qui peut être saisi par les entreprises pour harmoniser les lois et les normes au niveau environnemental, de la santé et des pratiques sociales par exemple au sujet des OGM, des pesticides, des hormones, de la législation du travail, des protections sociales des citoyens, etc. Le principe de précaution n’existe pas pour cette institution. Selon le TAFTA, « la science industrielle est plus objective que la science d’état qui est politisée ». L’argumentaire pour la dérégulation est que si l’on ne protège pas les investisseurs, ils ne viendront pas. Il n’existe pourtant aucun rapport entre ce dispositif déjà existant ailleurs et la géographie de l’investissement, encore moins avec l’emploi et la création de richesses, ce que je vais développer plus loin avec les conséquences de l’ALENA qui est en vigueur depuis plus de 20 ans en Amérique du Nord.

L’ISDS est un dispositif juridique mis en place pour permettre aux transnationales d’attaquer en justice les états et de leur demander des pénalités financières s’ils refusent de modifier leur législation. Le retrait de la loi ne peut être imposé mais ce système reste très dissuasif, surtout pour les états fragiles. Il s’agit d’outiller et d’armer les multinationales en faisant passer les intérêts privés pour l’intérêt général. Ce dispositif juridique qui existe déjà dans le cadre de traités entre pays industrialisés et pays en développement (souvent entre anciens colons et colonies) a très peu évolué depuis les années 50, l’arbitrage étant toutefois devenu une industrie : les ISDS démarchent désormais les sociétés multinationales pour qu’elles attaquent les états et réclament leur part du gâteau (depuis le milieu des années 90).

L’ALENA

ALENA signifie Accord de Libre-Echange Nord Américain. Il peut également être désigné par le terme NAFTA en anglais (Nord American Free Trade Agreement) ou TLCAN en espagnol (Tratado de Libre Comercio de América del Norte). Cet accord fut signé en 1994 entre un pays émergeant, le Mexique, et les deux pays industrialisés que sont les USA et le Canada. Il ne s’agissait pas forcément du premier du genre mais nous disposons désormais d’un recul de plus de vingt ans pour mesurer les conséquences de sa signature. Un accord existait préalablement entre Canada et USA donc c’est surtout sur les conséquences pour l’économie mexicaine que nous nous attarderons.

Quels furent les arguments invoqués pour la mise en place de l’ALENA ?

Du point de vue mexicain : La promesse de l’ALENA était avant tout un développement de l’économie mexicaine qui allait ainsi devenir un fournisseur privilégié des Etats-Unis et inversement ce qui, pour le Mexique lui-même, devait signifier une augmentation de la qualité des produits qu’il importait. De façon général, l’ALENA devait créer massivement des emplois et contribuer à une hausse de la qualité de vie au Mexique jusqu’à s’aligner sur le niveau de vie des USA.

Du point de vue des USA : L’horizon ALENA devait permettre une augmentation de la sécurité de la frontière Mexique-USA (frontière la plus traversée du Monde) par une stabilisation de l’économie du Mexique, donc une stabilisation des mouvements migratoires. Pour les USA, c’était s’assurer une sécurisation de l’importation d’énergie, le Mexique étant à l’époque le cinquième producteur mondial de pétrole. Enfin, il s’agissait de rééquilibrer la balance économique des USA et redonner de la compétitivité à leur économie pour faire face à l’UE et au Japon.

Le très controversé chapitre 11 a permis de créer un dispositif d’attaque d’un état en justice par une société qui s’estime flouée par la législation, un changement de régime (concept d’expropriation indirecte), etc.

Qu’est-ce que l’expropriation indirecte ?

Exemple : En 1980, suite à la révolution iranienne, les USA considèrent avoir été dépossédés de leur possibilité de faire du profit dans le pays. Ils s’estiment expropriés indirectement. Des multinationales américaines implantées en Iran décident d’attaquer grâce à un accord de libre-échange en vigueur le gouvernement iranien et gagnent des dommages et intérêts.

Le chapitre 11 officialise un nouvel aspect du capitalisme néolibéral : l’investissement n’est plus une prise de risque. Le capital n’accepte plus la possibilité de perdre.

Quelles conclusions après 20 ans d’ALENA ?

Les échanges commerciaux depuis 1994 ont été multipliés par 8 pour atteindre le chiffre d’un milliard de dollar par jour entre les USA et le Mexique.

On estime que 60.000 emplois sont créés par an au Mexique grâce à l’ALENA, ce qui, au regard de la population de 125 millions d’habitants est absolument négligeable alors qu’aux USA, un tiers des emplois industriels ont été délocalisés. Les salaires dans le secteur industriel au Mexique a seulement suivi la courbe de l’inflation passant de 2,21$/h à 2,79$ tandis qu’aux USA on est passé de 14,33$/h à 16,98$. Le gap entre le niveau de vie au Mexique et aux USA n’a absolument pas diminué.

De plus, l’agriculture au Mexique est en crise grave à cause de la compétitivité de l’agriculture américaine (haute productivité et larges subventions). 4 millions d’emplois agricoles ont été perdus en 20 ans au Mexique. Avant l’ALENA, le Mexique était autosuffisant en denrées alimentaires de base (maïs et haricots rouges) et en était même exportateur. Aujourd’hui, il est importateur net de nourriture. La majorité des petites exploitations a disparu. Le changement de régime alimentaire passant de la canne à sucre au sirop de maïs américain a propulsé le pays au premier rang mondial en termes d’obésité.

La stabilisation des flux migratoires n’a pas eu lieu. Alors qu’il y avait 4 millions de Mexicains aux USA en 1994, il y en a aujourd’hui 12 millions avec pour conséquence sociale un nombre incalculable de familles éclatées. Pour preuve, le Mexique est au quatrième rang mondial de l’envoi d’argent aux familles depuis l’étranger. Beaucoup de violences aujourd’hui perdurent avec 600.000 personnes par an qui tentent de traverser la frontière vers les USA. La moitié de la population est classé sous le seuil de pauvreté. Il y a eu une explosion du marché informel (vente à la sauvette, petits boulots « au noir ») donc sans protection social et sans cotisations pour les fonds publics.

Grâce au fabuleux chapitre 11, le Mexique a été attaqué par des multinationales américaines et canadiennes à de très nombreuses reprises. Notamment en 2003 avec les affaires METALCAD, TECMED et AVANGOA qui sont des entreprises de déchets toxiques ultimes (non traitables) qui souhaitaient implanter leur « poubelle » au Mexique. La résistance citoyenne locale ayant été forte, elles n’ont pas pu le faire mais ont été « dédommagées » d’un montant de 125 millions de $ par l’état mexicain.  D’autres désastres écologiques ont néanmoins eu lieu avec l’explosion des concessions minières (principalement or et argent) au Mexique qui couvrent désormais 15% du territoire national, soit une surface équivalente à celle de l’Italie. Le bétonnage massif des côtes pour le tourisme, outre les conséquences sur les inondations et la destruction des habitats, a mené à de grands mouvements de populations débouchant évidemment sur une instabilité sociale croissante.

Après 20 ans, on peut dire que tous les objectifs sociaux ont complètement échoués et que l’ALENA a sensiblement facilité et accéléré les effets de la crise économique sur la population mexicaine en détruisant son agriculture locale, son environnement et en permettant aux multinationales de voler l’argent public.

L’ALENA aura des conséquences directes sur l’UE en cas de signature du CETA (accord entre UE et Canada) et ce, même si TAFTA échoue car les accords de libre-échange fonctionnent de proche en proche. La Chine étant partenaire de ses pays, elle reconfigure déjà de toute façon la législation internationale de façon indirecte.

Les APE

Les APE pour Accords de Partenariat Economique sont des traités de libre-échange en pourparler depuis le début des années 2000 entre l’Union Européenne et trois groupements de pays africains (l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique de l’Est et l’Afrique du Sud). Ces discussions très conflictuelles ont mis de très nombreuses années à déboucher sur la rédaction de textes en raison de la posture extrêmement agressive de l’Union Européenne dans les négociations, qui sont en fait un chantage total des pays européens sur leurs anciennes colonies. Le reste de mon exposé sera centré sur les APE avec l’Afrique de l’Ouest.

Jusqu’à 2002, des accords existants privilégiaient les pays en développement en leur permettant d’exporter en UE sans droits de douane alors que ces pays pouvaient taxer à l’inverse les pays européens à l’import. L’OMC a rendu illégal ses accords (!) ce qui a perdu d’ouvrir une brèche pour que l’UE renégocie toutes les conditions d’échange avec l’Afrique de l’Ouest. Les PMA notamment (pays les moins avancés) bénéficiaient de l’initiative internationale « Tout sauf les armes » qui encourageait la croissance des pays les plus pauvres en leur accordant un accès privilégié au marché européen. Devant ce « traitement de faveur », l’UE a souhaité faire signer aux non-PMA (telle la Côte d’Ivoire) des APE intermédiaires afin de mettre en concurrence tous les états de la zone, y compris ceux, plus industrialisés, où de nombreuses multinationales européennes sont implantées, et ainsi déstabiliser les constructions régionales et le commerce entre les pays d’Afrique de l’Ouest, presque tous PMA.

Les APE dans la zone Afrique de l’Ouest ne concernent pas les échanges de services mais seulement de biens. Ils imposent la suppression des droits de douane sur 75% des denrées à l’import. On estime pourtant que seulement 6% de la production africaine de l’Ouest est compétitive avec la production européenne (en raison d’une agro-industrie européenne excédentaire et massivement subventionnée par la Politique Agricole Commune) et que cette compétitivité n’est possible que pour la production industrielle et non pas l’agriculture locale vivrière et durable. La filière laitière en particulier sera condamnée par ces mesures car le secteur laitier en Afrique de l’Ouest n’est pas compétitif avec une Europe de l’élevage laitier intensif et excédentaire.

Cela signifie également une perte massive de revenus de douane donc moins de services publics et d’investissement dans l’industrie agro-alimentaire locale. Pour la zone, les pertes estimées s’élèveront à environ 2 Milliards d’Euros par an en 2030 selon un calendrier de libéralisation progressif imposé. Plus aucune marge de manœuvre douanière pour les pays africains ne sera envisageable en cas de fragilisation économique extrême (conséquence attendue). Le détournement des échanges locaux au profit de l’UE signera l’arrêt de mort de l’agriculture traditionnelle, une augmentation exponentielle des intrants chimiques et donc de la dépendance aux multinationales de l’UE, et une victoire annoncée des acteurs économiques déjà dominants et compétitifs en Afrique de l’Ouest (souvent transnationaux).

La négociation des accords se fait en trois temps : le paraphe (écriture du texte), la signature des pays concernés et enfin la ratification par les parlements nationaux qui est une phase longue car elle nécessite le débat parlementaire. L’UE étant impatiente de nouer ces accords a posé un ultimatum aux pays africains concernés à l’échéance du 1er octobre 2016. Les droits de douane pour l’Afrique de l’Ouest, si l’accord n’est pas ratifié à cette date, se verront augmentés à l’import en UE. Cette mesure illégitime, ne tenant pas compte des délais nécessaires dans ces pays à démocratie fragile pour discuter d’un texte d’une telle portée, a été ostensiblement prise pour couper le débat parlementaire. L’OMC, qui devrait jouer ici un rôle de régulation, montre son impuissance face aux acteurs économiques dominants. L’UE joue ici un double jeu car elle devra payer le coût de cette folie ; les dépenses en aide d’urgence et aide au développement risquent d’exploser. Il faudra réparer d’une main ce que l’on a détruit de l’autre. La logique néolibérale sous-jacente apparaît ici au grand jour : socialiser les coûts et privatiser les bénéfices.

Une pétition existe sur internet pour interpeler les eurodéputés sur la question des APE ici

Conclusion

Les traités de libre-échange sont un grand frein au changement systémique souhaitable tant au niveau de la transition économique que de la transition écologique, qui s’en trouvent entravées par l’abaissement des normes, l’accaparement des moyens de légiférer dans l’avenir, et par la mise en place de l’ISDS (tribunal d’arbitrage lobbies-états). Nous nous retrouvons devant une dichotomie simple : les multinationales contre la souveraineté des peuples. La transition devra donc se faire au niveau local (hors système), tout en continuant la lutte intra-système contre la mise en place de nouveaux traités.

Publicité
Publicité
Commentaires
Résistance et transition
  • Ne vous y trompez pas ! Le colibri de la fable ne trie pas ses déchets, il ne prend pas des douches plus courtes, il ne fait pas du covoiturage, il utilise la totalité de son énergie vitale pour éteindre l'incendie dans la forêt qu'il aime. Soyons uni.e.s.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité