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Résistance et transition

12 juillet 2016

UEMSSI 2016 à Besançon : Conférence plénière sur les nouveaux mouvements sociaux

Notes prises à l'occasion de l'Université d'Eté des Mouvements Sociaux et de la Solidarité Internationale 2016 du 6 au 9 juillet sur le Campus de la Bouloie à Besançon.

Conférence plénière : « Reprendre la main sur nos vies : stratégies et outils des mouvements sociaux »

Une conférence articulée autour d’interventions sur les thématiques : les mouvements sociaux en Espagne depuis le 15M ; la Nuit Debout et les perspectives de mouvements lors de la présidentielles de 2017 ; l’affaire Luxleaks.

Le Mouvement des Indignés ou mouvement du 15M est né en Espagne à la Puerta del Sol de Madrid le 15 mai 2011 et a apporté des perspectives nouvelles aux mouvements sociaux mondiaux en créant une dynamique non-violente et transnationale avec des perspectives, des modes d’action et des revendications inédites. Ce mouvement populaire qui continue encore aujourd’hui s’est traduit par deux conséquences différentes, deux hypothèses :

- L’hypothèse Podemos a mené à la création du parti politique du même nom qui a obtenu des sièges à l’assemblée par la mise en œuvre d’une politique classique basée sur la présentation d’un leader, d’une communication large utilisant les media dominants et d’un programme utilisant des « contenants vides » (grands concepts sans programme concret). Le succès de l’hypothèse Podemos, quoique mitigé par ailleurs, est réel aujourd’hui.

- L’hypothèse mouvementiste est le refus de la politisation du mouvement par des moyens classiques et la recherche d’une déconstruction de la politique telle qu’elle se présente en république, représentative et finalement peu démocratique. La représentation du mouvement par un leader n’est néanmoins pas exclue de ce modèle. De nombreuses victoires ont été obtenues dans les mairies par des candidats qui se réclament du peuple à Madrid, Barcelone, Valence, Cadiz et d’autres parmi les plus grandes villes d’Espagne.

On pourrait imaginer qu’étant donné les victoires obtenues par le 15M sur les deux fronts, nous soyons les témoins d’une révolution complète de la politique espagnole. Le problème, tout comme en France et dans d’autres pays, est un blocage étatique qui semble insurmontable. La politique étatique est en effet totalement influencée par la sphère économique mondiale et par la politique globalisée de l’Union Européenne.

Quelles solutions proposées ? Nous sommes tous je pense sceptique devant la possibilité d’une révolution horizontale mais les soulèvements populaires récents donnent une grande confiance dans le changement individuel et le changement de nature profonde des mouvements sociaux qui devront miser sur le nombre d’individus impliqués afin de déborder le politique et de s’imposer dans le débat public au plus haut niveau (notamment à Bruxelles).

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En France, la Loi Travail ou Loi El-Khomri cristallise toutes les trahisons subies et accumulées depuis le début du quinquennat de François Hollande. Les citoyens se sentent dépossédés de la démocratie, savent ne plus être écoutés du tout par le gouvernement qui légifère sans l'avis populaire.

La « Nuit Debout » est née le 31 mars 2016 à l’issue d’une manifestation contre le projet de loi où des citoyens ont créé l’émulation nécessaire à leur propre dépassement pour que le peuple s’approprie le concept. Il est intéressant de constater que ceux qui ont inspiré le mouvement en ont perdu la maîtrise avant même son avènement concret. Le mouvement s’est construit autour d’une liberté d’initiatives (démocratie réelle) et l’expérience commune des violences policières, du mépris des partis et medias conventionnels, de la reprise de l’espace public et du dépassement de l’impuissance imposée par le système.

La place de la République est ainsi devenue un lieu de convergences qui a permis de sortir de l’entre-soi des mouvements sociaux classiques pour aller vers la majorité (l’hégémonie culturelle) et croire que c’est possible !

La légitimité du mouvement et de la désobéissance civile associée à l’occupation des places s’inscrit dans « l’état de nécessité » qui donne constitutionnellement le droit au peuple d’aller contre une loi pour un objectif plus élevé : face à la question climatique, face aux inégalités, face aux violences d’état.

Actuellement et cet été, le mouvement Nuit Debout doit fixer des objectifs et des échéances pour s’emparer du débat public lors de la présidentielle de 2017 et, ni plus ni moins, l’empêcher de se dérouler de façon classique.

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Antoine Deltour, lanceur d’alerte, est brièvement intervenu sur l’affaire Luxleaks dans laquelle il a dévoilé des documents officialisant les accords entre des multinationales et son cabinet d’expertise comptable dans le cadre d’une évasion fiscale absolument massive au Luxembourg. Récemment condamné à un an de prison avec sursis et 1.500€ d’amende, il a décidé de faire appel malgré la peine avec sursis et la somme qui lui est demandée et qui est, dit-il, dérisoire comparée aux frais d’avocats, afin de réclamer une décision juste et la reconnaissance que son action, bien qu’illégale car violant le secret des affaires, était menée dans l’intérêt général.

 

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12 juillet 2016

UEMSSI 2016 à Besançon : Module sur le néolibéralisme et le libre-échange - Jour 2 - Les traités de libre-échange

Notes prises à l'occasion de l'Université d'Eté des Mouvements Sociaux et de la Solidarité Internationale 2016 du 6 au 9 juillet sur le Campus de la Bouloie à Besançon.

Module « Vers la fin du régime de libre-échange ? Luttes pour démanteler le pouvoir des multinationales et pour un régime commercial au service des droits humains. » - Jour 2/3

Le TAFTA

Le Transatlantic Free Trade Agreement (TAFTA) ou Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) ou encore Traité transatlantique de libre-échange est un traité en négociation depuis juillet 2013 entre les USA et l’Union Européenne. Ces négociations, malgré leur grande opacité, ont acquis une visibilité à cause de la législation états-unienne peu exigeante et de la mauvaise réputation des multinationales américaines. Les lobbies industriels ont un accès privilégié au processus de négociation de ce traité. Le parlement européen n’a aucun pouvoir dans celle-ci, il est seulement « débriefé » après les réunions du comité de rédaction.

Le TAFTA apporte des nouveautés par rapport aux accords de libre-échange existants entre les pays industrialisées : il ne parle plus seulement des accords de commerce (simple échange de biens et de services) ; il propose un cadre législatif et juridique pour minimiser les entraves au libre-échange (réorganiser et harmoniser les dispositifs institutionnels « subjectifs » des états) via deux organismes : l’ISDS (tribunal des multinationales) et la Coopération réglementaire. Néanmoins, ces dispositifs ne sont pas une nouveauté dans le commerce international. Ces systèmes existent déjà entre l’Europe et leurs anciennes colonies et furent institutionnalisés la première fois il y a 60 ans par l’Allemagne dans le cadre d’un accord avec le Pakistan.

La Coopération réglementaire est un organisme indépendant des états qui peut être saisi par les entreprises pour harmoniser les lois et les normes au niveau environnemental, de la santé et des pratiques sociales par exemple au sujet des OGM, des pesticides, des hormones, de la législation du travail, des protections sociales des citoyens, etc. Le principe de précaution n’existe pas pour cette institution. Selon le TAFTA, « la science industrielle est plus objective que la science d’état qui est politisée ». L’argumentaire pour la dérégulation est que si l’on ne protège pas les investisseurs, ils ne viendront pas. Il n’existe pourtant aucun rapport entre ce dispositif déjà existant ailleurs et la géographie de l’investissement, encore moins avec l’emploi et la création de richesses, ce que je vais développer plus loin avec les conséquences de l’ALENA qui est en vigueur depuis plus de 20 ans en Amérique du Nord.

L’ISDS est un dispositif juridique mis en place pour permettre aux transnationales d’attaquer en justice les états et de leur demander des pénalités financières s’ils refusent de modifier leur législation. Le retrait de la loi ne peut être imposé mais ce système reste très dissuasif, surtout pour les états fragiles. Il s’agit d’outiller et d’armer les multinationales en faisant passer les intérêts privés pour l’intérêt général. Ce dispositif juridique qui existe déjà dans le cadre de traités entre pays industrialisés et pays en développement (souvent entre anciens colons et colonies) a très peu évolué depuis les années 50, l’arbitrage étant toutefois devenu une industrie : les ISDS démarchent désormais les sociétés multinationales pour qu’elles attaquent les états et réclament leur part du gâteau (depuis le milieu des années 90).

L’ALENA

ALENA signifie Accord de Libre-Echange Nord Américain. Il peut également être désigné par le terme NAFTA en anglais (Nord American Free Trade Agreement) ou TLCAN en espagnol (Tratado de Libre Comercio de América del Norte). Cet accord fut signé en 1994 entre un pays émergeant, le Mexique, et les deux pays industrialisés que sont les USA et le Canada. Il ne s’agissait pas forcément du premier du genre mais nous disposons désormais d’un recul de plus de vingt ans pour mesurer les conséquences de sa signature. Un accord existait préalablement entre Canada et USA donc c’est surtout sur les conséquences pour l’économie mexicaine que nous nous attarderons.

Quels furent les arguments invoqués pour la mise en place de l’ALENA ?

Du point de vue mexicain : La promesse de l’ALENA était avant tout un développement de l’économie mexicaine qui allait ainsi devenir un fournisseur privilégié des Etats-Unis et inversement ce qui, pour le Mexique lui-même, devait signifier une augmentation de la qualité des produits qu’il importait. De façon général, l’ALENA devait créer massivement des emplois et contribuer à une hausse de la qualité de vie au Mexique jusqu’à s’aligner sur le niveau de vie des USA.

Du point de vue des USA : L’horizon ALENA devait permettre une augmentation de la sécurité de la frontière Mexique-USA (frontière la plus traversée du Monde) par une stabilisation de l’économie du Mexique, donc une stabilisation des mouvements migratoires. Pour les USA, c’était s’assurer une sécurisation de l’importation d’énergie, le Mexique étant à l’époque le cinquième producteur mondial de pétrole. Enfin, il s’agissait de rééquilibrer la balance économique des USA et redonner de la compétitivité à leur économie pour faire face à l’UE et au Japon.

Le très controversé chapitre 11 a permis de créer un dispositif d’attaque d’un état en justice par une société qui s’estime flouée par la législation, un changement de régime (concept d’expropriation indirecte), etc.

Qu’est-ce que l’expropriation indirecte ?

Exemple : En 1980, suite à la révolution iranienne, les USA considèrent avoir été dépossédés de leur possibilité de faire du profit dans le pays. Ils s’estiment expropriés indirectement. Des multinationales américaines implantées en Iran décident d’attaquer grâce à un accord de libre-échange en vigueur le gouvernement iranien et gagnent des dommages et intérêts.

Le chapitre 11 officialise un nouvel aspect du capitalisme néolibéral : l’investissement n’est plus une prise de risque. Le capital n’accepte plus la possibilité de perdre.

Quelles conclusions après 20 ans d’ALENA ?

Les échanges commerciaux depuis 1994 ont été multipliés par 8 pour atteindre le chiffre d’un milliard de dollar par jour entre les USA et le Mexique.

On estime que 60.000 emplois sont créés par an au Mexique grâce à l’ALENA, ce qui, au regard de la population de 125 millions d’habitants est absolument négligeable alors qu’aux USA, un tiers des emplois industriels ont été délocalisés. Les salaires dans le secteur industriel au Mexique a seulement suivi la courbe de l’inflation passant de 2,21$/h à 2,79$ tandis qu’aux USA on est passé de 14,33$/h à 16,98$. Le gap entre le niveau de vie au Mexique et aux USA n’a absolument pas diminué.

De plus, l’agriculture au Mexique est en crise grave à cause de la compétitivité de l’agriculture américaine (haute productivité et larges subventions). 4 millions d’emplois agricoles ont été perdus en 20 ans au Mexique. Avant l’ALENA, le Mexique était autosuffisant en denrées alimentaires de base (maïs et haricots rouges) et en était même exportateur. Aujourd’hui, il est importateur net de nourriture. La majorité des petites exploitations a disparu. Le changement de régime alimentaire passant de la canne à sucre au sirop de maïs américain a propulsé le pays au premier rang mondial en termes d’obésité.

La stabilisation des flux migratoires n’a pas eu lieu. Alors qu’il y avait 4 millions de Mexicains aux USA en 1994, il y en a aujourd’hui 12 millions avec pour conséquence sociale un nombre incalculable de familles éclatées. Pour preuve, le Mexique est au quatrième rang mondial de l’envoi d’argent aux familles depuis l’étranger. Beaucoup de violences aujourd’hui perdurent avec 600.000 personnes par an qui tentent de traverser la frontière vers les USA. La moitié de la population est classé sous le seuil de pauvreté. Il y a eu une explosion du marché informel (vente à la sauvette, petits boulots « au noir ») donc sans protection social et sans cotisations pour les fonds publics.

Grâce au fabuleux chapitre 11, le Mexique a été attaqué par des multinationales américaines et canadiennes à de très nombreuses reprises. Notamment en 2003 avec les affaires METALCAD, TECMED et AVANGOA qui sont des entreprises de déchets toxiques ultimes (non traitables) qui souhaitaient implanter leur « poubelle » au Mexique. La résistance citoyenne locale ayant été forte, elles n’ont pas pu le faire mais ont été « dédommagées » d’un montant de 125 millions de $ par l’état mexicain.  D’autres désastres écologiques ont néanmoins eu lieu avec l’explosion des concessions minières (principalement or et argent) au Mexique qui couvrent désormais 15% du territoire national, soit une surface équivalente à celle de l’Italie. Le bétonnage massif des côtes pour le tourisme, outre les conséquences sur les inondations et la destruction des habitats, a mené à de grands mouvements de populations débouchant évidemment sur une instabilité sociale croissante.

Après 20 ans, on peut dire que tous les objectifs sociaux ont complètement échoués et que l’ALENA a sensiblement facilité et accéléré les effets de la crise économique sur la population mexicaine en détruisant son agriculture locale, son environnement et en permettant aux multinationales de voler l’argent public.

L’ALENA aura des conséquences directes sur l’UE en cas de signature du CETA (accord entre UE et Canada) et ce, même si TAFTA échoue car les accords de libre-échange fonctionnent de proche en proche. La Chine étant partenaire de ses pays, elle reconfigure déjà de toute façon la législation internationale de façon indirecte.

Les APE

Les APE pour Accords de Partenariat Economique sont des traités de libre-échange en pourparler depuis le début des années 2000 entre l’Union Européenne et trois groupements de pays africains (l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique de l’Est et l’Afrique du Sud). Ces discussions très conflictuelles ont mis de très nombreuses années à déboucher sur la rédaction de textes en raison de la posture extrêmement agressive de l’Union Européenne dans les négociations, qui sont en fait un chantage total des pays européens sur leurs anciennes colonies. Le reste de mon exposé sera centré sur les APE avec l’Afrique de l’Ouest.

Jusqu’à 2002, des accords existants privilégiaient les pays en développement en leur permettant d’exporter en UE sans droits de douane alors que ces pays pouvaient taxer à l’inverse les pays européens à l’import. L’OMC a rendu illégal ses accords (!) ce qui a perdu d’ouvrir une brèche pour que l’UE renégocie toutes les conditions d’échange avec l’Afrique de l’Ouest. Les PMA notamment (pays les moins avancés) bénéficiaient de l’initiative internationale « Tout sauf les armes » qui encourageait la croissance des pays les plus pauvres en leur accordant un accès privilégié au marché européen. Devant ce « traitement de faveur », l’UE a souhaité faire signer aux non-PMA (telle la Côte d’Ivoire) des APE intermédiaires afin de mettre en concurrence tous les états de la zone, y compris ceux, plus industrialisés, où de nombreuses multinationales européennes sont implantées, et ainsi déstabiliser les constructions régionales et le commerce entre les pays d’Afrique de l’Ouest, presque tous PMA.

Les APE dans la zone Afrique de l’Ouest ne concernent pas les échanges de services mais seulement de biens. Ils imposent la suppression des droits de douane sur 75% des denrées à l’import. On estime pourtant que seulement 6% de la production africaine de l’Ouest est compétitive avec la production européenne (en raison d’une agro-industrie européenne excédentaire et massivement subventionnée par la Politique Agricole Commune) et que cette compétitivité n’est possible que pour la production industrielle et non pas l’agriculture locale vivrière et durable. La filière laitière en particulier sera condamnée par ces mesures car le secteur laitier en Afrique de l’Ouest n’est pas compétitif avec une Europe de l’élevage laitier intensif et excédentaire.

Cela signifie également une perte massive de revenus de douane donc moins de services publics et d’investissement dans l’industrie agro-alimentaire locale. Pour la zone, les pertes estimées s’élèveront à environ 2 Milliards d’Euros par an en 2030 selon un calendrier de libéralisation progressif imposé. Plus aucune marge de manœuvre douanière pour les pays africains ne sera envisageable en cas de fragilisation économique extrême (conséquence attendue). Le détournement des échanges locaux au profit de l’UE signera l’arrêt de mort de l’agriculture traditionnelle, une augmentation exponentielle des intrants chimiques et donc de la dépendance aux multinationales de l’UE, et une victoire annoncée des acteurs économiques déjà dominants et compétitifs en Afrique de l’Ouest (souvent transnationaux).

La négociation des accords se fait en trois temps : le paraphe (écriture du texte), la signature des pays concernés et enfin la ratification par les parlements nationaux qui est une phase longue car elle nécessite le débat parlementaire. L’UE étant impatiente de nouer ces accords a posé un ultimatum aux pays africains concernés à l’échéance du 1er octobre 2016. Les droits de douane pour l’Afrique de l’Ouest, si l’accord n’est pas ratifié à cette date, se verront augmentés à l’import en UE. Cette mesure illégitime, ne tenant pas compte des délais nécessaires dans ces pays à démocratie fragile pour discuter d’un texte d’une telle portée, a été ostensiblement prise pour couper le débat parlementaire. L’OMC, qui devrait jouer ici un rôle de régulation, montre son impuissance face aux acteurs économiques dominants. L’UE joue ici un double jeu car elle devra payer le coût de cette folie ; les dépenses en aide d’urgence et aide au développement risquent d’exploser. Il faudra réparer d’une main ce que l’on a détruit de l’autre. La logique néolibérale sous-jacente apparaît ici au grand jour : socialiser les coûts et privatiser les bénéfices.

Une pétition existe sur internet pour interpeler les eurodéputés sur la question des APE ici

Conclusion

Les traités de libre-échange sont un grand frein au changement systémique souhaitable tant au niveau de la transition économique que de la transition écologique, qui s’en trouvent entravées par l’abaissement des normes, l’accaparement des moyens de légiférer dans l’avenir, et par la mise en place de l’ISDS (tribunal d’arbitrage lobbies-états). Nous nous retrouvons devant une dichotomie simple : les multinationales contre la souveraineté des peuples. La transition devra donc se faire au niveau local (hors système), tout en continuant la lutte intra-système contre la mise en place de nouveaux traités.

12 juillet 2016

UEMSSI 2016 à Besançon : Conférence plénière sur le fonctionnement du « néolibéralisme de crise »

Notes prises à l'occasion de l'Université d'Eté des Mouvements Sociaux et de la Solidarité Internationale 2016 du 6 au 9 juillet sur le Campus de la Bouloie à Besançon.

Conférence plénière : « De quoi la ‘’crise’’ est-elle le nom ? » présentée par Dominique Plihon, avec Geneviève Azam et Jean-Marie Harribey

La notion de « crise », utilisée pour définir la période économique que nous traversons, résulte d’une difficulté croissante à penser la situation telle qu’elle se présente à nous : la menace de notre seul habitat possible, la menace aussi de l’impossibilité de l’alternative, de notre espérance en un autre monde.

Par définition, la « crise » est un moment anormal/instable entre deux périodes normales/stables. Hors, cette instabilité perdure et s’installe, devenant stable et normale. Historiquement, pour sortir d’une crise, le capitalisme a dû intégrer un élément hors capital, extérieur. Mais désormais, même la nature est intégrée au capital par le biais de la financiarisation des services écosystémiques. Le fait qu’il n’existe plus d’extériorité au capital fait que pour pouvoir continuer à exister, il doit non plus intégrer de nouveaux éléments mais renforcer ceux qui existent par l’intensification des flux et l’accélération des échanges. Aujourd’hui, on sait que le libre-échange et internet n’ont néanmoins pas permis une propulsion de la société aux niveaux économiques et sociaux promis et attendus. Pourtant, les gouvernements ne prennent pas la mesure de cette stagnation dont on ne peut sortir car elle est systémique.

Depuis les années 2000, on n’assiste plus à des crises successives mais à une crise unique et internationale. Pour preuve, la dette chinoise a été multipliée par quatre en dix ans. Il n’y a plus de zone épargnée par le sinistre. On ne peut ainsi plus parler de « crise » mais d’effondrement, d’essoufflement du modèle, et ce, depuis les années 70. Cela ne signifie pas néanmoins qu’il s’affaiblit. En 1971, le Club de Rome lançait son alerte sur l’impossibilité d’une croissance infinie et les années 70 ont vu un fort mouvement de contestation mondiale vers l’autonomie. Les gouvernements ont traduits ces aspirations libertaires en programmes électoraux néolibéraux et la promesse du retour à la situation des 30 Glorieuses.

On s’aperçoit aujourd’hui que la « crise » est le moyen-même de la régulation du modèle. Le capitalisme, fragilisé par ses incohérences, doit se justifier par l’emploi de mesures extrêmes pour le bien commun. Selon la théorie capitaliste, le marché est nécessaire et on doit le sauver par tous les moyens car sans le marché, la société n’existe pas, elle n’est qu’un réseau mouvant et instable que le marché stabilise. Il FAIT la société.

La vertu que revêt actuellement la question écologique est de permettre de contraindre le système et le mettre devant des limites non-négociables, à l’opposé de son obsession pour l’accélération, de son extractivisme des ressources naturelles et du travail via la flexibilité extrême, le mouvement permanent. A ces valeurs, la société civile et le tissu associatif alternatif oppose désormais la lenteur, la décroissance, la relocalisation, les communs, la réduction du temps de travail pour une redistribution de l’activité, les basses technologies, autant de passerelles vers un nouveau paradigme de société avec le cassage du système bancaire dominant, l’annulation des dettes illégitimes et la mise en place d’alternatives monétaires locales. Un modèle se construit déjà en parallèle car le système actuel ne pourra pas tomber brusquement, son agonie sera interminable et signifierait la fin de toute vie.

Il s’agit désormais pour les néolibéraux de mettre en place un projet de décivilisation et de destruction massive grâce au levier de la terreur. Utiliser le mot « crise », c’est jouer leur jeu en permettant de croire qu’il existe une sortie par l’accumulation. La culture de la peur est largement utilisée pour justifier les mesures d’urgence, la course à l’armement, les violences policières et une lutte antiterroriste complètement inadaptée et dangereuse pour la sécurité et l’intégrité nationale.

12 juillet 2016

UEMSSI 2016 à Besançon : Module sur le néolibéralisme et le libre-échange - Jour 3 – Les alternatives au libre-échange

Notes prises à l'occasion de l'Université d'Eté des Mouvements Sociaux et de la Solidarité Internationale 2016 du 6 au 9 juillet sur le Campus de la Bouloie à Besançon.

Module « Vers la fin du régime de libre-échange ? Luttes pour démanteler le pouvoir des multinationales et pour un régime commercial au service des droits humains. » - Jour 3/3 - Les outils alternatifs pour un régime commercial respectueux des droits humains

Le commerce équitable : l’exemple d’Artisans du Monde

Fondée vers 1970, cette ONG de solidarité internationale altermondialiste, membre fondateur d’ATTAC, prône un commerce respectueux des droits de l’homme. A la base, il s’agit d’une fusion de plusieurs associations françaises qui réalisaient du commerce équitable avec le Bangladesh en solidarité à la suite d’une catastrophe naturelle. L’activité d’Artisans du Monde démarre avec la rédaction d’une charte qui cadre les valeurs démocratiques mises en pratique dans le réseau.

Le commerce équitable se base sur un rapport d’égal à égal entre les acteurs et un engagement dans la durée des deux parties. Néanmoins, il ne doit pas être le seul interlocuteur/client des associations de producteurs. La plupart du temps, les coopératives au Sud vendent une partie de leur production dans les filières classiques et une autre dans celle du commerce équitable, leur permettant une rémunération plus importante. Artisans du Monde refuse de travailler avec les multinationales, ce qui n’est pas par exemple le cas de l’organisme de certification Max Havelaar, qui a dû de fait adapter ses exigences éthiques au marché néolibéral.

« Artisans du Monde » a le poids institutionnel pour interpeler la société civile et le pouvoir politique sur le TAFTA et les accords de libre-échange.

Attention, le commerce équitable ne doit pas aboutir à une déculpabilisation totale de notre consommation de produits importés. Même dans le cadre d’un commerce équitable, dans l’excès, nous pouvons encore porter atteinte à la souveraineté alimentaire des pays en développement !

Vers une régulation des droits des multinationales : the Treaty Alliance

Actuellement, nous vivons dans une corpocratie mondiale. Les multinationales sont les seuls acteurs au monde à ne pas subir de régulation et ne sont pas responsabilisables : les victimes d’un dommage commis par une multinationale n’ont pas de recours. Cela est dû notamment au fait que les filiales sont considérées par le droit comme des acteurs économiques différents (la filiale peut « disparaître » sans que cela nuise au groupe). Il s’agit d’une forte asymétrie entre la réalité économique (le groupe) et le cadre juridique, ce qui permet aux sociétés de travailler en toute impunité sociale et environnementale. Le droit international sur l’écologie et les droits humains est « mou », c'est-à-dire volontaire. L’ONU a tenté sans succès d’encadrer les activités des transnationales depuis les années 1970, mais sans succès. Les transnationales « s’engagent » à tenir des résolutions mais les comportements restent identiques : la recherche du profit par l’externalisation des coûts sur l’humain et la Terre.

85% des transnationales aujourd’hui sont basées dans les pays du Nord et 60% des échanges commerciaux mondiaux se font entre filiales. 147 multinationales dans le monde concentrent 40% du commerce mondial. Ces chiffres incroyables ne sont que le résultat d’une politique libérale mondiale qui fait obstacle à toutes les régulations.

Pour répondre à la nécessité de réguler les activités scandaleuses des transnationales qui bafouent les droits humains et détruisent la planète, en 2014, une résolution a été déposée au conseil de l’ONU à l’initiative de l’Equateur et de l’Afrique du Sud afin de créer un traité qui permettrait de réguler en droit les multinationales au niveau international. Vous serez sûrement heureux d’apprendre que notre beau pays ainsi que tous les pays de l’UE, les USA et le Canada notamment, ont voté contre cette résolution, qui a été néanmoins adoptée. Mais tous les pays du Nord sont absents lors des séances de rédaction du traité. 5 ans seront nécessaires aux négociations mais une première version sera disponible en 2017. Toutefois, sans les pays les plus puissants du monde économiquement, les négociations ont toutes les chances de tourner court, d’où la nécessité pour la société civile de s’investir dans la défense de cette mesure nécessaire, voulue par plus d’une centaine de pays.

Plus d’infos ici : The Treaty Movement (en français)

Le Mandat de Commerce Alternatif

Le Mandat de Commerce Alternatif est un texte développé grâce à des consultations de la société civile en Europe. Il traite d’une nouvelle vision du commerce international qui serait respectueux des droits humains et de l’environnement, resserrerait les inégalités et bénéficierait à toutes les parties. Il développe des questions d’alternatives aux politiques libérales et aux traités de libre-échange, ainsi que la question du développement humain et de sa corrélation à la croissance afin d’aller contre les logiques économiques étriquées et suicidaires de l’Union Européenne.

De nombreux aspects du commerce international et de son cadre sont traités, comme la participation sociale1 au débat, les normes, le secteur de la finance2, les matières premières, l’énergie3, le changement climatique, les appels d’offre publics et la propriété intellectuelle4.

1 Actuellement, Bruxelles par l’intermédiaire des commissaires européens (qui ne sont même pas élus !) décide de la politique économique française. Les peuples devraient contrôler la production, la circulation et la consommation, pas une instance illégitime. Nous ne voulons pas de la négociation actuelle autour de TAFTA et TISA (libéralisation des services, de la santé et de l’éducation dans 51 pays soit 70% des services mondiaux) !

2 Depuis 2010, 37% du PIB de l’Union Européenne a été cédée au secteur financier privé via la dette et les opérations de sauvetage soit 4.500 Milliards d’Euros. Une exigence de transparence serait un strict minimum…

3 L’Union Européenne est actuellement importateur net d’énergie : 54% de l’énergie consommée et 85% du pétrole sont importés. Le mandat appelle à la sécurisation de ces importations par le rééquilibrage des taxations.

4 7 pays contrôlent 95% des brevets, ce qui mène à une intolérable privatisation des savoir-faire. La question des Big Data doit aussi être soulevée pour exiger la transparence : qui garde les informations, où et dans quel but ?

Plus d’infos ici : AlternativeTradeMandat

15 novembre 2015

Le Zero Waste : un levier de changement de civilisation ?

Le Zero Waste en théorie

Bien que je ne défende pas la théorie selon laquelle une "consommation responsable" ou autre oxymore de la novlangue néolibérale puisse nous sortir de la purée économico-socialo-écolo-identitaire dans laquelle nous sommes, je réfute avec la même force le fait que changer ses habitudes domestiques ne soit qu'un leurre sans conséquences comme développé dans le court-métrage "Forget shorter showers".
Un positionnement politique militant n'empêche pas de vivre autrement et inversement. Au contraire, un choix de vie renforce une idée, lui donne vie, propage autour de soi une onde positive, prouve que l'on peut vivre heureux sobrement, différemment. C'est une condition nécessaire mais non suffisante. Une vie simple donne envie de défendre ses valeurs et donne un sentiment de sécurité et de légitimité puisque l'on ne saute pas dans le vide sans solution à proposer, en combattant le système capitaliste. On amorce déjà la transition.

Je m'intéresse dans cet article au Zero Waste, un courant écolo qui consiste à tendre asymptotiquement vers le fait de ne laisser derrière soi, au niveau individuel ou familial, soit aucun déchet non recyclable, soit aucun déchet tout court. La puissance de cette idée est qu'elle englobe presque automatiquement d'autres courants de pensée, la sobriété heureuse et la consommation localo-biologique. Pour cela, je dirais que le Zero Waste est un levier de civilisation puisque si les foyers ne produisent qu'une proportion infime des déchets du monde (moins de 5% seulement et les moins toxiques/polluants, la majorité des déchets étant produits par l'agriculture et l'industrie), le changement de perception que cette pensée engendre vis-à-vis de la notion de produit et de consommateur est capable de modeler, par l'intermédiaire de l'économie, la production elle-même. Certes supprimer 1/20 des déchets est insuffisant mais par effet boule de neige en somme, on peut en supprimer l'immense majorité.

Finalement, le blocage vis-à-vis du Zero Waste est davantage un blocage vis-à-vis de la notion de consommation où l'on ne se préoccupe pas du cycle de vie du produit et de la notion de citoyen-consommateur qui paraît si ancrée, même dans les milieux militants, qu'on ne sait pas comment s'en dépétrer. Lors d'un atelier citoyen que je coanimais il y a peu, on amenait un groupe à s'interroger sur les pièges à éviter par l'économie circulaire non marchande (mis en place dans les espaces libérés, par exemple sur la ZAD de Notre-Dame des Landes), pour ne pas retomber dans le dogme libéral. Les mots consommateurs et produits ont été prononcés plusieurs fois et remis en perspective lors du débriefing des mini-débats. Je les utilise moi-même dans ce texte. On ne sait pas quel mot utiliser pour certaines notions alors qu'il s'agit simplement de personnes ("citoyens" étant conotés politiquement) ayant besoin de manger et de se vêtir. Le discours dominant nous a vraiment contaminé jusque dans notre perception du réel et nos imaginaires. Nous n'avons besoin que d'être au chaud et de manger à notre faim. Le reste des besoins nous a été imposé et ne contribue pas toujours, et loin s'en faut, sensiblement à notre bonheur.

Le Zero Waste en pratique

L'alimentation est en fait le plus simple combat de l'aspirant Zero Waste, qu'il soit citadin et possède une épicerie biologique vendant en vrac près de chez lui, ou qu'il vive en milieu rural et ait à disposition une coopérative agricole, un moulin, une AMAP où il puisse faire le plein de légumes et de céréales, farines. Le Zero Waste demande néanmoins une organisation différente, des achats davantage "en gros", la volonté de se déplacer avec ses propres sacs et pots en verre. La diminution ou la suppression dans son alimentation des produits animaux peut aussi être une conséquence indirecte, mais pas forcément, certaines boucheries et fromageries proposant des emballages très légers et compostables. Pour aller plus loin, on peut se renseigner auprès du producteur pour savoir si l'aliment a été emballé à un moment donné, durant son transport. C'est le cas la majorité du temps.

Dans la salle de bain, être Zero Waste peut poser problème lorsque l'on a une peau très sèche ou des cheveux récalcitrants, mais lorsque ce n'est pas le cas, on peut s'en sortir avec un nombre faible d'articles Zero Waste : un savon non emballé (type Savon de Marseille bio) et un shampooing solide, une brosse à dents en bambou biodégrable, un dentifrice maison et un oriculi japonais (pour l'hygiène des oreilles).
Faire son propre dentifrice nécessite de l'argile blanche ultraventilée (pour ne pas abîmer l'émail), du bicarbonate de soude alimentaire (dont on pourra également se servir pour remplacer la levure chimique) ainsi que quelques gouttes d'huile essentielle de menthe. Mélanger l'argile et le bicarbonate à la proportion d'environ 5 pour 1 dans un petit récipient de préférence en verre, avant d'ajouter la menthe. Il est recommandé de ne pas ingérer le dentifrice malgré tout à cause de l'argile.

Mais Zero Waste, c'est aussi refuser d'acheter des articles neufs emballés sous plastique (jouets, articles de bricolage, piles, appareils électroniques, DVD, etc) y compris lorsque l'on fait un cadeau. On peut à peu près tout récupérer d'occasion ou mieux, réparer ou faire soi-même et le surcroît d'énergie que cela demande permet de réfléchir à la véritable utilité que l'on aura de l'objet, et dans la majorité des cas, en arriver à la conclusion que l'on peut s'en passer ou faire autrement, plus simplement. 

Le Zero Waste n'est pas une solution miracle ou un positonnement révolutionnaire. Il faut s'organiser politiquement, construire un nouveau paradigme. Mais dans cette optique, réduire nos déchets à zéro n'est pas une option non plus. C'est une condition supplémentaire à garder une planète vivable pour les générations futures.

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20 septembre 2015

Un nouveau regard sur notre regard

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Cet ouvrage publié aux éditions L'échappée se révèle être une approche tout à fait originale, engagée et surtout plurielles de ce que l'on nomme classiquement "culture de masses", c'est-à-dire tout le paradigme sociétal actuel qui tend à s'étendre au monde entier, nivelant tout par la mise en place d'un système de valeurs autour de l'individu, le règne sans partage de la publicité et des visuels, l'enfermement en soi-même et devant les écrans, le travaillisme, le fatalisme face à un futur sans avenir, l'apologie du sport et de la compétition, une révérence absolue au progrès technique au détriment du progrès écologique et social et une déresponsabilisation de l'individu par rapport au destin collectif.

L'originalité de ce livre, compilé par l'Offensive, est à la fois son contenu accessible bien qu'allant assez loin dans l'analyse de notre système de valeurs (du moins sur les thèmes choisis qui sont la publicité, le sport, le tourisme et la télé), et la forme, un chapitrage rythmé et une multitude de dossiers d'auteurs différents.

Je me suis plongée dans ce livre sans en sortir avant de l'avoir fini, malgré le format qui rend très pratique une lecture fragmentée sans perte de sens. A vrai dire, toutes les thématiques abordées le sont avec lucidité mais sans connivence dogmatique. On dit souvent que les révolutionnaires défendent une idéologie. Ici, il s'agit au contraire d'une critique de l'idéologie en place, qui en mérite par toute son emprise totale et endogène le nom, pour ouvrir sur l'océan des possibles, sans orienter une révolte ni se prétendre détenteur d'une vérité.

A lire pour sa culture personnelle et mieux comprendre les mécanismes de manipulation que sont la télévision, la publicité, le sport et la liberté du choix dans un ensemble d'options normalisées.

19 août 2015

Choisir une activité sans rémunération : un positionnement philosophique

Le système capitaliste totalitaire, intervenant pourtant seulement récemment dans l'histoire humaine, a balayé d'un revers de main la totalité des autres systèmes sociaux potentiels et maintient son incontestable dominance, ainsi que son invasion parasitaire dans toutes les cultures humaines, par un refus farouche et déterminé d'ouvrír le débat sur les questions sociales, humanitaires et environnementales sans y inclure, prédominante et impériale, la question économique. La doxa dominante empoisonne, par une éducation aux seules consommation et compétition, les tendances naturelles humaines à la collaboration et à l'altruisme. Dans ce contexte, toute personne qui se positionne de facon tranchée contre le pouvoir de l'argent et du matérialisme sur nos sociétés sera immédiatement dénigrée sous différentes dénominations aux connotations, de vaguement à franchement, négatives. Le capitalisme a cela de fabuleux que sa dynamique est totalement endogène et qu'il est même capable de susciter et d'alimenter une révolte qu'il sera capable de maitriser, créant l'illusion d'une remise en question qui n'existe évidemment pas sur la scène publique.

Pourtant, de nombreux projets d'échange émergent, où l'argent n'est plus un élément conducteur de sens, remplacé par l'échange de temps, de connaissances ou de moments de vie et de partage simples. La nourriture et l'énergie appartiennent à la Terre mais l'homme peut en jouir de facon morale s'il ne détruit pas la source des bienfaits qui lui sont accordés. Un partage équitable des ressources n'est possible que sans accaparement et accumulation, donc sans argent. Il est dans l'intéret d'un systême totalitaire d'encourager ses initiatives mais aussi de les cadrer, et de leur donner une visibilité et une crédibilité limitées dans le temps et l'espace. Internet a considérablement accru le partage de connaissances et des échanges gratuits mais c'est aussi le royaume de la publicité, des informations non vérifiées et des vidéos de chats, et son impact écologique considérable équilibre mal ses potentiels bienfaits. A la vérité, Internet semble être davantage un domaine exutoire qui donne une illusion de liberté virtuelle dans une société qui ne laisse à ses citoyens qu'un nombre très limité de choix. Il est ainsi le parfait outil de la doxa dominante et il appartient à chacun d'en avoir une utilisation avisée.

Travailler sans être rémunéré peut paraître loufoque et absolument non viable. On imagine une situation transitoire, choisie ou subie mais qui ne peut être que limitée dans le temps du fait de la nature actuelle du fonctionnement sociétal dont personne ne pense pouvoir changer le moindre iota, même sur un long terme. Or, la réappropriation du temps au service de l'épanouissement personnel et de la construction de la société de demain est une condition indispensable à la mise en place d'une dynamique vertueuse qui replace l'humain au coeur de son existence, quand il en occupe, dans le paradigme sociétal dominant, la périphérie sous la forme du temps libre (soirées, week-end, vacances). Pour un nombre important de personnes, l'activité rémunérée est une condition de survie du fait d'un mode de vie qui rejoint ce que l'on nomme au sens large l'idéologie pavillionnaire ou pâtit simplement d'une dépendance importante à un confort occidental due ou non au développement d'une vie familliale sédentaire. Quoiqu'il en soit, de nombreuses personnes, baroudeurs, wwoofeurs, nomades, hermites et tous les développeurs d'autonomies, ont montré et montrent chaque jour à qui s'y intéresse que vivre sans argent ou presque est possible et que cela offre, à qui possède assez de volonté pour s'en faire un credo, cette liberté qui n'est pas celle de l'absence d'engagement mais celle de la possibilité de le choisir.

Si je fête en ces jours le cinquième anniversaire de la fin de ma vie professionnelle rémunérée, mon épanouissement dans le voyage, les projets écovolontaires et le partage de moments simples de vie avec des inconnus qui deviennent mon seul refuge et ce parachute imprévu qui pourtant me retient toujours, mon épanouissement, mon bonheur n'ont jamais été si grands et je voulais en témoigner.

A vous, mes amis.

15 juillet 2015

Comment et pourquoi les chats détruisent-ils le monde ?

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Derrière ce titre volontairement provocateur, je cherche simplement à attirer l'attention de tous les publics à des enjeux globaux. Mais, à la vérité, cet animal qui sert de bouc émissaire dans cet article est un symbole que je considère tout à fait pertinent (et amusant) à analyser et je vais donc m'employer à le faire.

Détourner l'attention des problèmes sociétaux

De façon tout à fait évidente, les chats détournent l'attention du public des problèmes globaux qui devraient nous occuper : aller vers une société plus juste, plus équitable, manger mieux, s'épanouir dans son activité professionnelle, laisser une planète habitable aux générations futures. Seulement voilà, l'être humain se complait dans un déni total de sa condition d'esclave, il accepte la hiérarchie et son impuissance chronique à diriger sa vie. La majorité des personnes est en effet plus susceptible de se sentir en sécurité si elle est guidée dans ses choix. Le problème de la culpabilité intervient néanmoins régulièrement dans nos consciences, malgré la propension de l'humain à user et abuser de sa dissonance cognitive, c'est-à-dire sa capacité à ne pas associer une cause et sa conséquence lorsque cette dernière est déplaisante (par exemple manger de la viande alors que l'on serait incapable de faire du mal à un animal ou acheter un tee-shirt à trois euros alors qu'il a été fabriqué au Bangladesh dans un camp de travaux forcés). Pour chasser cette culpabilité lancinante qui revient régulièrement hanter toute personne qui n'est pas simplement psychopathe au sens premier du terme (absence de remords devant une action immorale), la société a trouvé une véritable mane dans cet animal familier qu'est le chat. Faisant partie de notre environnement direct, les possibilités d'utilisation de l'image du chat à des fins récréatives et de diversion sont infinies. Le chat est mignon, intelligent, il peut avoir des comportements amusants et il nous renvoit une image individualiste qui nous conforte. De plus, la prédominance de l'affection qu'une partie très importante de la population porte au chat pourrait être due à un protozoaire intracellulaire, parasite du cerveau, Toxoplasma Gondii, connu pour manipuler le comportement de ses hôtes (études effectuées sur le rat domestique Rattus domesticus qui, infecté, n'a plus peur des chats) et dont plus de 50% des habitants d'Europe de l'Ouest sont infectés. On ne sait pas néanmoins si le parasite modifie le comportement spécifiquement par rapport aux félins qui sont les prédateurs naturels du rat ou simplement dans le sens d'une prise de risque accrue.

Un carnage chez les oiseaux

Le chat est, à notre époque, l'espèce animale invasive qui a l'effet le plus dévastateur sur la petite faune et la conservation des espèces, notamment de rongeurs et d'oiseaux. Chaque félin domestique tue cinq à dix oiseaux par an, un chat errant au moins cinq fois plus.

Pour aller plus loin, je vous propose la lecture d'une étude de l'impact des chats sur la petite faune aux Etats-Unis (en anglais)

Nourriture et climat : l'impact écologique et social des chats

Nul ne peut se targuer d'ignorer à notre époque l'impact de la viande industrielle sur le climat et la répartition des ressources sur le globe, menant à des famines orchestrées par l'Occident. Cela se justifie déjà moyennement lorsqu'il s'agit de viande consommée par une population humaine. Si l'on déforeste et concentre les ressources alimentaires en Occident afin de nourrir des animaux domestiques, l'enjeu devient particulièrement critiquable. Le chat est strictement carnivore et est par conséquent nourri dans la majorité des cas de viande produite à très bas prix et de poisson issu de techniques de pêche industrielle non-sélective.

L'empreinte écologique du chat serait un équivalent de 0,13ha à 0,15ha cultivés ce qui signifie que 3 chats affament un habitant du Bangladesh. Un seul félin équivaut au niveau de ses émissions équivalentes carbone à une petite Volkswagen. C'est schématique mais tout le monde aime les raccourcis et le sensationnel.

"Une réduction du nombre d’animaux domestiques aurait les mêmes avantages que la stabilisation de la population humaine" Vers une prospérité durable, Impact des animaux domestiques sur l’environnement (éditions de la Martinière, 2012)

L'apologie de l'individualisme et un pansement sur une solitude orchestrée

Le chat est un animal territorial très attaché à son environnement et assez peu finalement à ses propriétaires, ce qui en fait un reflet total des valeurs véhiculés par la société capitaliste. On aime le chat pour son indépendance puisque c'est une qualité dont la société de consommation fait une apologie sans concession. De plus, avoir un animal domestique est pour beaucoup de personnes un substitut à une compagnie humaine. Lorsque ce n'est pas la cas, il est quand même souvent une compensation affective et évite un questionnement profond des valeurs qui sont désormais les nôtres (cloisonnements relationnels entre voisins, éloignement familial, indépendance dictée par des codes).

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Si je n'aime pas particulièrement les chats, je n'ai rien contre eux non plus car je respecte toute vie. Je pense néanmoins que tous les propriétaires de chats devraient s'interroger sur les raisons qui les pousse à avoir un animal de compagnie. Ils devraient au minimum avoir conscience de l'impact que ce dernier a sur la société et la répartition des ressources dans le monde ainsi que sur le changement climatique, la pollution et la perte de biodiversité.

11 novembre 2014

De la responsabilité d'aller bien

La remise en question de notre système politico-économique est une considération finalement élitiste puisque la réflexion et la conception d'une autre réalité et d'un autre paradigme nécessitent de se détacher de la doxa majoritaire et de prendre du recul. En effet, le système capitaliste n'est pas seulement un système économique, il s'agit d'une dictature totale qui uniformise les valeurs, les projections de réussite de vie, les rêves, les loisirs, la façon de passer son temps, le déni du coût social et environnement ainsi que l'omniprésence du capital dans tous les aspects de la vie, même sociales et familiales les plus intimes et personnelles.

Le percevoir et en parler est souvent douloureux, mal perçu par l'entourage, vécu comme une épreuve de force inutile contre une machine qui broye simplement tout ce qui n'est pas à son image. La loi du plus fort est inscrit dans notre inconscient par une éducation basée sur la compétition, la domination et la construction d'une individualité travailliste dont le seul but est de trouver un "vrai" travail, productif et adapté aux besoins immédiats de l'économie de croissance.

Mais surtout l'individualisme induit du fatalisme. Car, par la centralisation sur la vie et le culte du paraître, la "légende personnelle", l'image renvoyée par les personnalités célèbres détruit la volonté de changer un système qui nourrit l'ego par des rêves de succès personnel et d'argent donc de pouvoir illimité, alors même que chacun sait qu'il n'est pas le garant d'un bonheur total et immuable. Ainsi, alors que l'altruisme est une valeur socialement estimée, elle n'est présente dans aucun aspect de la vie. Tout le système publicitaire et travailliste engage l'individu à penser uniquement à ses besoins personnels, sans se soucier des conséquences de ses actes, de ses dépenses, de ses loisirs, de sa consommation d'énergie. Au delà de cette conception, les barrières sociales et personnelles induits par des situations personnelles, amoureuses, familiales et de santé difficiles engagent l'individu sur l'autoroute d'un sentiment d'impuissance et d'isolement qui l'amènent à se placer en victime du système et à seulement subir les pressions extérieures sans pouvoir agir sur lui par manque de temps et d'énergie, qui doivent être dédiés à la survie immédiate (se remettre d'une rupture, travailler pour ses enfants, pour un parent en difficulté, s'occuper d'un proche handicapé, ...). L'histoire personnelle de chacun est toujours plus importante que le destin collectif, que l'on soumet donc à des sphères éloignées des valeurs humanistes de la base que chacun ressent naturellement comme les seules réalités tangibles de sa nature non-aliénée (partage, amour, jeu, méditation, émerveillement, ...).

La responsabilité d'aller bien, c'est le devoir du citoyen qui n'est pas soumis à une extraordinaire pression personnelle sur sa vie, en somme celui qui au sens large "n'a pas de problème", de prendre sa responsabilité d'objecteur de conscience, d'objecteur de croissance et de communiquer, d'agir au niveau individuel pour transformer le système de l'intérieur, par l'éducation, le retour à la terre, la discussion, le millitantisme, la formation de groupes de réflexion, le respect de toute vie et toujours, la volonté personnelle inébranlable de redonner à l'humain sa place au coeur de notre société.

Humainement, solidairement.

7 novembre 2014

L'avenir des low-tech

Depuis plusieurs décennies, on ne jure plus que par les équipements électroniques qui envahissent tous les domaines de la vie. Là où il y a encore une vingtaine d'années seuls les ordinateurs personnels avaient apporté la complexité technologique au grand public, il n'est plus d'objets modernes désormais qui ne contiennent une part d'électronique, toujours en augmentation, de la voiture à la cafetière en passant par le téléphone et la carte bancaire. Cette 'high-technisation' du quotidien est une vision très court terme et très élitiste de l'avenir. En effet, ces équipements complexes, contenant des quantités faibles et donc difficilement recyclables ou réutilisables de métaux et terres rares, ne peuvent en aucun cas être généralisés à l'humanité entière, encore moins sur une période de temps excédant quelques dizaines d'années. Pas plus que les panneaux solaires ne peuvent assurer de façon pérenne l'avenir énergétique de l'humanité. Car en fait, ce que l'on appelle recyclage et que l'on veut faire passer pour l'étape ultime de l'écolo-économie, n'est en fait qu'une réutilisation tout à fait imparfaite, incomplète et énergivore d'un matériau. Et ce recyclage n'est possible et efficace que pour des quantités importantes d'un même matériau mono-bloc (par exemple une bouteille en verre). Dans le cas d'alliages complexes ou d'infimes inclusions de métaux comme c'est le cas dans les équipements électroniques dit high-tech, la réutilisation des éléments (au sens chimique de la matière c'est-à-dire l'élément métal atomique) n'est pas possible simplement, dans le sens d'une viabilité énergétique. Hors, ces éléments existent en quantité limité sur notre planète et ne peuvent être synthétisés pour remplacer un déficit de ressources minières de façon réaliste (à ce jour, seules la fission et la fusion nucléaire permettent de créer un élément chimique à partir d'un autre).

La réutilisation pérenne des ressources en métaux et autres éléments complexes qui ont apportées à la vie moderne son confort (non partagé à l'échelle de la terre mais ce débat est autre) nécessite donc une utilisation intelligente, mesurée, simplifiée et standardisée des éléments, toujours au sens chimique du terme, les plus rares sur notre planète. La vision low-tech de l'avenir, loin d'être passéiste, est résolument moderne et complexe dans le sens où elle doit utiliser toutes les ressources scientifiques et les erreurs du passé pour mettre au point une technologie qui soit à la fois simple, robuste (loin de toute obsolescence programmée), et mono-matériau, mettant en exergue l'utilisation de métaux, de verre et de matière organique, devant celui du plastique, illusion éphémère de la société du XXe siècle, dont le temps est déjà compté sur nos étals (davantage que dans les océans où sa présence et sa toxicité seront bien ultérieures à son utilisation massive). Cette simplification de la technologie, au lieu de diminuer le confort obtenu par l'industrialisation de l'économie permet de diffuser à l'ensemble des sociétés humaines ses bienfaits ainsi que de limiter à la fois l'impact sur l'environnement par les pollutions générées par le high-tech, qui sont considérables (pollution durable des sols et des nappes phréatiques) mais aussi pérenniser l'utilisation d'accessoires de confort, qui seraient évidemment mutualisés, autre condition sine qua non du développement humain au détriment de la financiarisation d'une économie avilisante. Moins de biens, davantage de liens.

En revenant sur la différence entre réutilisation et recyclage, j'aimerais revenir sur le faux-sens que le recyclage a pris dans la société moderne occidentale. Ce mot, utilisé à tort et à travers, a déresponsabilisé le citoyen de l'étape postérieure à l'utilisation d'un objet. Une bouteille de lait en plastique recyclable, tout comme une pile mise dans le bon conteneur ou un sèche-cheveux dans la bonne benne seraient sans impact. C'est évidemment ce que les industriels veulent faire croire mais ce ne sera jamais le cas. Seule la réutilisation des objets (économie circulaire, emballages consignés, ...) peut être considérée comme durable. Et au diable le greenwashing.

A nos actions personnelles !

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Résistance et transition
  • Ne vous y trompez pas ! Le colibri de la fable ne trie pas ses déchets, il ne prend pas des douches plus courtes, il ne fait pas du covoiturage, il utilise la totalité de son énergie vitale pour éteindre l'incendie dans la forêt qu'il aime. Soyons uni.e.s.
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