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Résistance et transition
6 septembre 2018

Le contour (perméable ?) de mes convictions

Une histoire de prisme

Si j’ai abordé beaucoup de sujets dans ce blog, toujours liés à mes convictions, à cette façon dont j’aborde le monde qui m’enjoint à convaincre sur les questions qui me semblent à l’instant t être centrales et devoir être développées pour penser une rupture idéologique, je n’ai jamais en revanche tenté de parler de la manière dont se sont construits et évoluent dans le temps mon système de pensée et les biais paradigmaux qui me font accueillir ou rejeter des opinions, des informations.

C’est pourtant, en tant que militante, une thématique que je devrais trouver depuis toujours brûlante, puisque l’on ne peut tirer l’énergie pour une lutte que de certitudes, qui peuvent évoluer, mais qui sont, au moins sur le moment, la seule réalité que l’on peut discerner.

Nous vivons dans une civilisation hors sol où une grande partie des informations que nous recevons passe par des intermédiaires. L’information générale repose souvent sur des images, des textes, des interprétations, des subjectivités normalisées qui servent un but, la paix sociale a minima. La science, quant à elle, nous donne à voir des résultats, sans que les données brutes ne nous soient accessibles, sans souvent que les raisonnements qui amènent à la conclusion ne nous soient pleinement compréhensibles en tout point. Les seules choses dont nous pouvons nous targuer d’être certain.e.s renvoient à notre sphère intime, à notre activité confinée. Une construction mentale fragile se met donc en place au cours de la vie autour de nos expériences personnelles, subjectives mais réelles et aussi les expériences des autres, présentées comme objectives mais tout aussi subjectives et surtout liées à des constructions mentales « allochtones » (dans le sens d’étrangères à la nôtre). C'est cette construction mentale personnelle en évolution constante que j'appelle le prisme de pensée. Car tel un prisme, elle dévie la lumière, elle déforme ce qu'elle voit pour le rendre conforme à son contrôle.

Ce prisme que nous nourrissons, pourtant fragile et dont la géométrie est souvent basée sur des mensonges et vérités tronquées, nous le défendons pourtant avec une férocité telle que nous pourrions nous couper des personnes qui nous sont le plus chères pour conserver son intégrité. Parfois d'ailleurs, nous le faisons. L’on cherche toujours une atmosphère sociale qui nous conforte, l'on lit les media qui disent ce que l’on a envie d’entendre. Facebook le sait pertinemment et, pour que vous passiez un maximum de temps à faire descendre votre fil d’actualité, il n’y met que ce que vous pouvez apprécier, qui ne vous énerve pas, ne vous choque pas. Il n’y a pas forcément dans le mien les publications de mes contacts qui partagent sur En Marche ou qui disent que le Nutella, c’est fantastique. Facebook fait le tri pour moi et si je vois un élément qui ne me plaît pas ou si quelqu’un commente une de mes publications de manière hostile, je vais me poser la question de le supprimer de mes amis. « Je le connais d’où déjà ? On n’a jamais vraiment été proches, je savais pas qu’il était comme ça. » On croit que ce que l’on lit modèle ce que l’on pense mais la plupart du temps, c’est l’inverse qui se produit. Pourtant, les voix discordantes enrichissent car elles questionnent la solidité de notre raisonnement.

Croire et croître

Si, par exemple, je vois la vie à travers le prisme suivant « Les puissants ont des intérêts différents des vraies personnes comme vous et moi. », la question que je me pose lorsque quelque chose que je ne peux vérifier est affirmé, est « Qui le dit ? » et « Quel est l’intérêt de cette personne à présenter les choses ainsi ? ».

Prenons l’exemple du changement climatique, un sujet absolument capital. En tant que scientifique de formation, je sais qu’un chercheur est souvent comme un journaliste de BFM TV. Il sait exactement ce qu’il veut trouver, où il veut aller, il fait dire aux chiffres ce qu’il veut, il remplit le raisonnement d’images et de graphiques et lorsqu’il fait une régression linéaire, il trouvera toujours un R² suffisant pour se convaincre que son hypothèse était bonne. J’ai approché de bien près le milieu de la climatologie et clairement, peu de gens ont une vue globale de ce qu’il se passe et montrer quelque chose de cohérent quand rien n’est évident est juste une question d’aptitude rédactionnelle.

Lorsque j’écoute le discours d’un climato-sceptique tel que Vincent Courtillot, je peux être convaincue par le raisonnement. Je ne dis pas que je le suis mais enfin, rien ne l'empêche a priori, si ce n'est mon prisme. Les idées mathématiques développées sont cohérentes, mes vagues notions de dendroclimatologie ne sont pas en contradiction avec ce que j'entends. Qui croirai-je alors ? La doxa dominante ou quelqu’un qui sort de nulle part et cherche peut-être juste à faire des vues sur Youtube (c’est aussi un but en soi aujourd’hui). Peut-être le réchauffement climatique n’est-il qu’un leurre, un hold-up, pour nous détourner de la lutte des classes et pouvoir avancer dans le contrôle des masses en déclarant l’état d’urgence climatique ? Peut-être fera-t-il dans cinq ans 55° en été en Afrique et en Asie du Sud-Est et les migrations seront telles que notre civilisation s’effondrera ? Qu’en sais-je depuis mon ordinateur en lisant des articles ? Je peux raisonner, regarder les données, tout restera toujours affaire de croyances. Mon prisme détermine ce que je choisis de croire, davantage que la rigueur de l'information.

La science en tant qu'apport de données extérieures que l'on choisit de croire ou pas est une foi, finalement. J’aime jouer avec les mots et penser alors qu'au lieu de croyants, nous pourrions être des croissants (ceux qui par la vie deviennent plus grands, pas les viennoiseries pur beurre). Moi qui suis plutôt décroissante, qui l’eut cru ? Qui eut crû ?

Croire, croître, ça peut être regarder un arbre, un œil, un aigle, une veine dans le poignet de l’être aimé et y voir une intention. C’est empirique je dirais. Un apparté pour ajouter que, dans le prisme de la pensée, l'intuitif tient également une place essentielle.

Aucune remise en question n'est a priori stupide, aucune réflexion inutile. Pourtant, dans la génération Power Point et TED-X, c’est le dernier qui a parlé qui a raison. On sait déjà où on t’emmène avant de commencer, c’est convaincant certes, le raisonnement est plein, rond, verrouillé. On te dit « vous devez bien être d’accord avec moi que 1+1=2 ? » Sauf qu'il s'agit là d'un point de vue, systématiquement. La somme en question ne peut-elle pas être est supérieure à la somme des parties ? La vie pourtant par définition est 1+1=3. On peut considérer cela comme une vérité scientifique ou attribuer cela au divin. Dans les deux cas, ces vérités coexistent en harmonie.

Appréhender et respecter une altérité de la pensée

Dans la compréhension de schémas de pensée différents interviennent l’interprétation, la représentation et les canaux nourriciers de communication (la façon dont l’on doit nous parler pour que l’on soit apte, en fonction de notre personnalité, à comprendre et à se nourrir des stimuli reçus), qu’ils soient factuels, empathiques, qu’ils fassent appel à l’imaginaire ou à l’action. Ce qui nous nourrit ne nourrit pas forcément l’autre. J’entends nourriture terrestre ou psychique. Je ne peux pas choisir pour l’autre ce qu’il est bon pour lui de manger, je ne peux pas choisir pour l’autre ce qu’il est bon pour lui de croire, de souhaiter pour sa vie. Je peux simplement lui donner à voir des choses qui sont hors de son champ des possibles, de sa zone de confort, invisibles par son prisme, subversifs. Subversif pour un libertaire, cela peut être traditionnaliste, nationaliste, religieux. Les choses les plus étonnantes surgissent d’espaces inconnus, obscurs, rangés sous le tapis, souvent volontairement. Ce que l’on pense parfois être le fruit de l’endoctrinement peut en fait être l’aboutissement d’une réflexion très puissante et donc, a minima, il vaudrait le coup de respecter l’autre, de chercher à comprendre ce qui l’a mené ici, ses expériences, ses joies, ses souffrances, ses partages. C’est accepter d’être bousculé, redéfinir les contours de son prisme, le polir pour qu’il renvoie toujours davantage de lumière, d’amour, de vie. Dans le but de l’union toujours, c’est de cela dont il s’agit, agir en tant que groupe, en tant qu’espèce pour, non pas différer, mais empêcher l’effondrement ou, a posteriori s’il advient, être capables de le transcender.

C'est facile de refuser la remise en question. On trouve toujours des choses pour prouver ce que l’on pense. Certains partent en croisade contre les écolos parce qu’ils croient que la science et la technologie peuvent tout. C’est un prisme. Ils utiliseront le mot "bio" comme une insulte, éviteront soigneusement de parler d’autodétermination des peuples, d’évoquer le brevetage du vivant par les multinationales, de parler cultures vivrières et végétarisme, reconnexion à la terre. Ils diront "bio industrielle, colonisatrice, rendements inférieurs et donc élitistes, faim dans le monde aggravée". Il y aura beaucoup de choses vraies là-dedans. Beaucoup trop à mon goût. On trouvera l’étude qui dit que telle substance cancérigène finalement ne l’est pas, que tel vaccin a empêché l’humanité de s’éteindre, que le soja est un perturbateur endocrinien, que le végétalisme est une dangereuse monstruosité dont il faut éloigner nos enfants à tout prix. Il y a toujours une étude indépendante qui prouve ce que l’on pense. La preuve de la subjectivité de la science.

Chercheuse de vérité...

Mon prisme écolo-anarcho-végétaro-animiste est tout aussi réducteur qu'un autre, violent avec ce qu’il rencontre et qu’il ne veut pas voir. Je me force, j’essaye, je regarde à côté du prisme, je me frotte les yeux, ça déforme, je n’aime pas ça. Parfois, cela me conforte dans mes schémas car le raisonnement tenu ne me convient pas, ne convient pas à mon système de valeurs. Est-ce à ce moment-là parce que je rejette en bloc le « système » ? Parce que cela est contraire à des valeurs que je dois à mon éducation ? A mes expériences, donc construites avec les temps, malléables ? Les militants le savent bien, on peut faire des allers-retours dans ses convictions, tout n’est pas un aller simple, on peut revenir de certaines puretés radicales, revenir du véganisme, de la décroissance absolue, du zéro déchet, ... Cela ne signifie pas que l’on pensait avoir tort mais que l’on en tire pas ce que l’on imaginait. L’important est d’en revenir en conscience, en sachant ce que cela implique pour soi-même et pour les autres, vivre selon ses valeurs avec les autres plutôt que sans eux, en sachant que tant que des 4x4 rouleront, faire du vélo ne changera rien, pas plus que ne le font les douches courtes ou les repas végétariens bio hebdomadaires à la cantine. Ces gestes, cette poudre aux yeux, repeignent le capitalisme en « vert BNP » et lui donnent, sous perfusion idéologique, dix ou vingt ans d’agonie de plus, le temps de saccager davantage d'écosystèmes.  Les écogestes, le colibri, la culpabilisation des masses sont de très puissants outils anti-insurrectionnels systémiques comme les media de masse, le RSA, la société du spectacle et du divertissement en général où rien ne peut être grave puisque, le lendemain, on parle d’autre chose.

Etre un.e chercheur.se de vérité, c’est accepter qu’elle n’ait rien d’évident, jamais, même quand il semble qu’on ait trouvé une grille de lecture au monde. C’est accepter qu’elle soit multiple et transitoire. Que celle qu’on nous sert, écrite par les vainqueurs, a un goût amer de mensonge. « History » n’est-elle pas « His Story », son histoire, sa version des faits, celle de l’homme blanc bourgeois ? Et que donc la bataille la plus féroce soit de ne rien laisser oublier de la lutte, des oppressions, de l’émancipation arrachée, des victoires populaires sur la domination, des victoires de l’humain sur lui-même, sur sa propre médiocrité. Je raffole en cela de la littérature libertaire, de l'histoire cachée, oubliée, des luttes. Ce dont nous ne devons jamais douter pour gagner, c’est que nous en sommes capables car nous l’avons déjà fait mille fois ! Nous sommes tous zapatistes, communard.e.s, zadistes, deboutistes, paysan.ne.s indien.ne.s en marche. Nous sommes le monde.

Si la vérité est une pelote de laine, commençons par la saisir, même simplement pour la faire rouler dans notre main, le reste viendra de lui-même.

"Un mensonge peut faire le tour de la Terre, le temps que la vérité mette ses chaussures." Mark Twain

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Résistance et transition
  • Ne vous y trompez pas ! Le colibri de la fable ne trie pas ses déchets, il ne prend pas des douches plus courtes, il ne fait pas du covoiturage, il utilise la totalité de son énergie vitale pour éteindre l'incendie dans la forêt qu'il aime. Soyons uni.e.s.
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