Notes prises à l'occasion de l'Université d'Eté des Mouvements Sociaux et de la Solidarité Internationale 2016 du 6 au 9 juillet sur le Campus de la Bouloie à Besançon.
Module « Vers la fin du régime de libre-échange ? Luttes pour démanteler le pouvoir des multinationales et pour un régime commercial au service des droits humains. » - Jour 1/3
Sans réellement d’introduction, les intervenants nous ont immédiatement mis à contribution afin de répondre par groupe d’une dizaine de personnes à trois questions : 1) Comment définir le néolibéralisme en trois mots ? 2) A qui profite le régime de libre-échange ? 3) Quel est le problème posé par ce système commercial ?
Avant de restituer ces discussions, je me propose de redéfinir un peu le néolibéralisme.
Il s’agit de notre régime de commerce actuel, qui succède au capitalisme basique (celui de la révolution industrielle) puis à l’impérialisme (capitalisme au temps des colonies, régime d’accaparements). Le néolibéralisme est donc une strate du capitalisme dans un contexte de grandes inégalités déjà établies entre le Nord et le Sud, les petites entreprises et les multinationales, l’oligarchie et les citoyens. En procédant à la dérégulation totale du commerce, les acteurs économiques dominants, sous couvert de liberté et de libéralisation de tous les aspects de la vie, réalisent une prise de pouvoir total au niveau politique, économique et culturel sur les peuples. L’étape prochaine de ce régime est la systématisation des traités de libre-échange nouvelle génération (de type TAFTA-TTIP sur lequel je reviendrai longuement dans l'article-restitution du deuxième jour du module) via un réseau de proche en proche permettant au marché mondial de ne constituer qu’une seule et même entité profitant seulement aux acteurs déjà dominants, sans considération aucune pour la santé, l’écologie, les droits humains et la démocratie. Le néolibéralisme est en fait un système basé sur un éternel présent au service du seul profit.
1) Comment définir le néolibéralisme en trois mots ? Pour définir le néolibéralisme par trois mots, j’ai proposé un brainstorming. Les mots émergeants de la discussion dans notre groupe furent : Dérégulation, opacité, multinationales, mondialisation, globalisation, compétitivité, accaparement, violences, exploitation, profit, pouvoir, inégalités, croissance, liberté, jungle, injustices. Parmi ceux-ci, nous avons décidé de retenir Globalisation – Compétitivité – Accaparement. Je préférais à ce dernier mot le terme d’Exploitation car il me semblait mettre en exergue le fait d’une utilisation de l’humain comme de la nature mais finalement, nous avons voté pour Accaparement. Chaque mot met en avant un aspect, « Globalisation » la dimension, « Compétitivité » le principe et « Accaparement » la dérive.
2) A qui profite le régime de libre-échange ? Nous avons été rapidement d’accord pour émettre une réponse en trois volets : - les multinationales, - la finance, - l’oligarchie (une élite des acteurs économiques dominants)
3) Quel est le problème posé par ce système commercial ? Le débat a mené à un accord sur le « problème des problèmes », celui dont découlent tous les autres : la privatisation des pouvoirs politiques (les lobbies n’autorisant plus le pouvoir étatique à prendre en compte les volontés populaires par un chantage à la croissance économique et à l’emploi et pesant manifestement sur les décisions géopolitiques et une idéologie d’Etat extractiviste et d’exploitation de l’homme et de la nature). De ce problème-clé découlent les autres : l’augmentation des inégalités, le changement climatique et les déplacements de populations dus aux conflits pour les matières premières.
Historique du capitalisme
Sa naissance remonterait à l’époque charnière entre le Moyen-Âge et la Renaissance mais l’essor véritable de ce dogme n’advient qu’à la fin du XVIIIème siècle. Les 30 glorieuses, après la Deuxième Guerre Mondiale, voient l’apparition de la deuxième phase du capitalisme, l’Impérialisme, où les firmes multinationales commencent à prendre le contrôle des décisions étatiques et assoient leur emprise grâce aux ressources fournies par les colonies des pays industrialisés, maintenant les actuels pays en développement dans un état de servitude (exportation de toutes les richesses vers le Nord, création artificielle et éhontée d’une dette des pays du Sud envers l’Union Européenne et les USA, esclavage visible et non visible, etc). Enfin, l’apparition du néolibéralisme dans les années 70 marque l’entrée dans un capitalisme total et totalitaire mondial qui, par une perte de souveraineté et l’affaiblissement des frontières étatiques, envahit, grâce une culture du spectacle et de la publicité limitant les résistances potentielles, tous les aspects sociaux et interpersonnels de la société, contribuant activement à son démembrement. Il s’agit d’une entreprise de décivilisation par l’intensification des flux déjà existants jusqu’à phagocyter tous les aspects de la vie dans une ultime tentative de maintenir de la croissance (brevetabilité du vivant pour l’accaparement des ressources alimentaires mondiales, capitalisation du service à la personne et des services écosystémiques, …).
Idéologie
L’idéologie néolibérale s’appuie sur le dogme de l’humain en tant qu’homme économique. Selon cette idéologie, l’être humain serait motivé uniquement par l’appât du gain et par son intérêt personnel. Il serait en outre non influencé par son environnement social et culturel (métaphore de « Robinson Crusoé sur son île déserte » souvent invoquée par les néolibéraux). Cette idéologie se veut donc hégémonique ; elle se dit « dans l’ordre des choses » et bénéfique à tous car répondant à la « nature humaine ». Le dogme d’un marché pur et parfait dans ce contexte est entravé par les états dans la volonté de passer du commerce local à un commerce totalement globalisé. Dans cette optique, il est naturel et souhaitable pour les libertés individuelles de dépasser les Etats en détruisant les mesures publiques de régulation du marché (normes, protections et cotisations sociales, principe de précaution, …).
Au-delà de l’intérêt d'apprendre à contenir le réflexe vomitif qu’écrire ce paragraphe m’a immédiatement provoqué, je reste persuadée qu'il est nécessaire de bien connaître un ennemi pour le combattre. L’intérêt de redéfinir le paradigme néolibéral est d’en comprendre conséquemment les contradictions internes afin de pouvoir contrer d’éventuelles argumentations en faveur du système et lui retirer son statut de système naturel alors qu’il s’agit d’un système imposé.
Idée n°1 : L’humain est attiré par l’appât du gain. Alors pourquoi constate-t-on une telle résistance à un système pourtant totalitaire sur le plan culturel et économique ? Pourquoi, si l’humain est-il foncièrement et naturellement égoïste, voit-on partout fleurir l’alternatif, le solidaire, alors même que la majorité silencieuse, si elle n’agit pas et est très mal informée, n’est néanmoins pas exempte de critique envers le système. Ce que l’on constate en fait, c’est que l’humain est déconstruit en homme économique mais que ce n’est pas son état naturel.
Idée n°2 : L’humain n’est pas influencé par son environnement. L’argument le plus facile à déconstruire dans une optique de globalisation où l’humain n’est plus justement que la somme de ses interactions avec le système et les autres humains. Nier le caractère social de l’humain ne s’argumente même pas, il se balaye d’un revers de main et avec grand mépris. Le néolibéralisme s’appuie sur la non-humanité de l’humain.
Idée n°3 : Le pouvoir de l’état doit être annulé pour augmenter les libertés individuelles. Cependant, ce que l’on constate aujourd’hui, c’est au contraire le renforcement du pouvoir étatique, qui est utilisé par les acteurs économiques dominants à leur profit en lui appliquant le vocabulaire de l’entreprise et en l’utilisant comme milice de son hégémonie d’où une militarisation de la police (très visible en France depuis la mise en place de l’Etat d’urgence en novembre 2015). Le dogme néolibéral utilise cet adage : « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. » Pour les citoyens, il est devenu clair que « La liberté des uns s’arrête là où s’arrête aussi celle des autres. » d’où une convergence des luttes de plus en plus visible.
Idée n°4 : Le néolibéralisme met tous les individus sur le même plan et lui autorise les mêmes chances. Bien entendu, cet argument ne tiendrait que dans un système libre et non faussé, loin du nôtre. Les rapports de force existants se renforcent lorsque les protections légales des plus faibles acteurs sont supprimées. On voit que la libre circulation des capitaux peut se faire dans les deux sens mais que la libre circulation des personnes est de plus en plus contrainte dans le sens Sud-Nord. Les Etats-Unis, à la fois très libéraux et protectionnistes, sont un exemple très parlant de politique impérialiste extrêmement unilatérale.
Contexte actuel
Aujourd’hui, de nouveaux outils s’offrent aux néolibéraux pour étendre l’emprise du système et donc de la « crise » qui est le mode de fonctionnement normal du capitalisme (les trente glorieuses ayant été une parenthèse, pas si glorieuse que cela par ailleurs). La strate néolibérale du capitalisme, qui n’est pas vraiment une nouvelle étape mais un fonctionnement parallèle supérieur de celui-ci, tend à augmenter la financiarisation de l’économie (spéculation et économie non basée sur les ressources), la numérisation des systèmes de production, la dérégulation et l’uniformisation au sein des états, la délocalisation pour davantage de polarisation (Asie – Pôle industriel, Afrique et Moyen-Orient – Pôle Matières premières, USA/UE – Pôle financier), ainsi que l’extension au secteur du vivant (biotechnologies et brevetage du vivant).
Un aspect cependant favorise tous les autres : la dérégulation par l’établissement de traités internationaux de libre-échange qui sont en fait des accords internes au sein des lobbies mais prenant la forme d’accords entre deux états ou groupes d’états. Ces traités dits bilatéraux, comme TAFTA entre l’UE et les USA, tentent de prendre un contrôle total sur les lois de régulation du marché déjà existantes (et en amont sur les projets de loi) par la création de la Coopération Réglementaire. Cet organisme transnational, s’il voit le jour, permettra aux multinationales de s’arroger le droit d’exercer une pression économique et financière sur les états ayant, en vigueur ou en étude de projet, des lois qui entravent ou entraveraient, selon la coopération réglementaire, le libre-échange qui est, toujours selon le dogme, dans l’intérêt des populations.
Ces traités ont également pour but d’être des moyens de pression pour la signature d’autres traités interconnectés et donc pour la création d’une grande toile commerciale, permettant au Nord de garder sa sphère d’influence sur d’anciennes colonies ou états fusionnés (ex-URSS) diminuant ainsi les gaps entre les différentes actions antidémocratiques prises par les états et les entreprises pour annihiler la résistance citoyenne et augmenter le pouvoir des lobbies et des multinationales.
L’opacité et l’anonymat de l’oligarchie, désormais avérés, est un outil redoutable qui a permis de passer du patronat identifiable à une caste d’actionnaires et de financiers dont la responsabilité au niveau social et écologique ne peut plus être mise en cause de façon simple.
En gros, c’est la merde.
Que répondre si on nous dit : « Il faut signer TAFTA ! Les Chinois vont nous manger sinon ! » ?
Premier argument : Les multinationales soi-disant françaises ou européennes ne le sont en fait pas. Il n’y a pas de nationalité des transnationales car elles sont déterminées par un actionnariat qui est ouvert au monde entier, dont le seul but est le profit, pas des considérations nationalistes.
Deuxième argument : Abaisser les normes en général, c’est permettre aux produits américains, mais aussi chinois par conséquent, d’être plus compétitifs sur notre marché qui, pour l’instant, est relativement normatif.
Troisième argument : Euh, ben en fait, on est aussi en train de signer un truc avec les Chinois alors bon…
Quatrième argument : Sur l’investissement qui est le cheval de bataille des néolibéraux, l’expérience et l’histoire doivent parler. L’argent ne va pas forcément dans les pays qui sont les moins régulés. Le continent africain ne représente que 10% des investissements mondiaux, pour preuve.