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Résistance et transition
25 octobre 2018

Europacity, la ruine des dernières terres fertiles d'Île-de-France VS le shopping nouvelle génération

Si vous n'êtes pas un.e habitué.e des luttes anti-GP2I (Grands Projets Inutiles Imposés) et que vous ne résidez pas en Île-de-France, il y a peu de chances que vous ayez déjà entendu parler d'Europacity, le plus grand projet d'investissement privé depuis Disneyland en 1992.

Ce projet vise à bétonner en grande partie près de 300 ha de terres actuellement cultivées en conventionnel (principalement des céréales, avec des rendements TRES importants) pour l'implantation d'une ZAC et d'un centre commercial d'un nouveau genre, mix génial entre un centre commercial classique automatisé et connecté, à l'écoconstruction greenwashingué, avec un centre culturel et de loisirs en intérieur ou en extérieur où tout est pensé pour que vous puissiez passer des journées entières à consommer, assister à des spectacles et vous détendre, dans un environnement fermé et aseptisé, isolé car en pleine campagne, relié à Paris (24 minutes) par une gare dédiée payée par les pouvoirs publics.

LE TRIANGLE DE GONESSE

Peu connu, même des franciliens, le triangle de Gonesse n'est pas une zone géographique officielle, elle n'est desservie par aucun transport en commun (il faut prendre le bus et marcher) et elle n'a aucune attractivité particulière puisqu'il s'agit de champs cultivés. C'est pour les politiques une page blanche, une zone à bétonner, à "valoriser".

Partout ailleurs, on bétonne et on valorise sans grande résistance. Mais ici, un enjeu apparaît. Le triangle de Gonesse est cultivé depuis au moins 4000 ans, des "silos" préhistoriques ont été retrouvés dans le sol et la raison en est connue. Le sol de Gonesse est parmi les plus fertiles, pas de France, pas d'Europe, mais du monde. Gonesse n'est pas à côté de Paris, c'est Paris qui est à côté de Gonesse et ces terres et les excédents agricoles qu'elles ont produit sont la raison pour laquelle la capitale française se trouve ici, parce que l'on a pu nourrir des artisans et des notables, menant à la possibilité d'une spécialisation et d'une urbanisation. Aujourd'hui, Paris n'a "plus besoin" de ces terres pour sa survie mais il est tout aussi absurde de bétonner du néoluvisol que de se mutiler physiquement. Les agriculteurs locaux parlent de "crime", ça n'est probablement pas exagéré.

LE PROJET EUROPACITY

Un oeil sur le site officiel du projet www.europacity.com ainsi que celui du triangledegonesse.fr et vous comprendrez rapidement de quoi il s'agit et les moyens de communication déployés pour faire passer la pilule de l'aberration. Car Europacity, c'est quand même, au-delà d'un énième centre commercial (qui ne pourra qu'être désert comme Paris Nord et le Millénaire), un parc d'attraction et un piste de ski en intérieur (quelle bonne idée !).

Les mots "ensemble", "expérience", "emplois", "diversité", "partager", "famille", "amis" reviennent énormément dans le discours et les photographies pastelles de belles femmes caucasiennes souriantes rentrent dans une vaste campagne de persuasion que le projet, au delà de participer à votre bonheur, va aussi vous trouver un emploi et sauver la planète.

Bien entendu, Europacity se veut un pôle incontournable du futur Grand Paris en préparation du Paris des JO 2024 et un projet pour l'emploi, bien que, comme tous les centres commerciaux du monde, il ne fera qu'en déplacer et en détruire, notamment les emplois commerciaux du centre commercial Paris Nord 2, et a fortiori à cause de ses boutiques connectées, où des caméras et des balances dans les rayonnages permettront de déduire vos achats de votre compte sans caisse, même automatique. En outre, les emplois créés par ces centres, commerce, gardiennage, loisirs dans une moindre mesure, sont d'une grande précarité et demanderont aux employés d'importants trajets journaliers du fait de l'excentrage du triangle de Gonesse par rapport à Paris et aux principales zones résidentielles d'Île-de-France. Je ne développe pas ici les menaces sur la vie privée que font peser des supermarchés connectés où une caméra reconnait votre visage et vos vêtements pour savoir sur quel compte bancaire débiter vos achats et ce que pourra vendre Europacity au big data si vous faites vos courses au même endroit que votre spa, vos loisirs connectés, tout ça avec vos gosses et vos amis. Chacun.e peut y réfléchir en son âme et conscience.

Le greenwashing de ce projet est à la hauteur de la destruction titanestique des champs à la fertilité incroyable (100 quintaux de blé à l'hectare, c'est davantage que les plaines d'Ukraine !) et vous lirez sur le site du projet comment les restaurants utiliseront les légumes de potagers bio autour du centre...
Europacity est une "living city", un village de demain. C'est effectivement probablement le cas, c'est à cela que ressemblera demain, pas très "living", mais connecté, imposé, peint en vert mais mort.

"CONCERTATION" ET LOBBYING

Pour faire passer une pilule aussi grosse, il faut donner l'illusion du dialogue. Pourquoi ne pas ouvrir un site qui s'appelerait "Construisons Europacity" (pas trop le choix apparemment) et dire que l'on mobilise la société civile sur les questions de la construction ? Demander l'avis des gens sur les détails mais pas sur la légitimité du projet lui-même.

Mais qui est derrière tout ça ? Un trust chinois, Wanda, associé à une famille française très puissante, les Mulliez. Leur empire commercial qui compte aujourd'hui plus de 500 enseignes dont les très lucratifs Auchan, Kiabi, Decathlon, Leroy-Merlin, Norauto, etc leur permet un lobbying très fort sur les pouvoirs publics. Qui d'autre pourrait se faire payer une gare ferroviaire et des dizaines de km de voies à un milliard d'euros pour déservir un projet privé ? Encore une fois, personne depuis Disney ne l'avait fait !

COMMENT LUTTER ?

L'urgence aujourd'hui se situe dans la lutte contre la bétonnisation immédiate et notamment la première étape, celle de la gare payée avec l'argent public à la hauteur de 1 milliard d'euros dimensionnée pour faire transiter plus de 30 millions de visiteurs par an (mais bien sûr !) ... Quand on sait les besoins de transport en commun en Île-de-France et notamment de banlieue à banlieue, les difficultés de circulation sur certaines lignes existantes, on a de quoi serrer les dents.

Des actions en justice sont en cours car la Déclaration d'Utilité Publique est une supercherie et que des personnes compétentes se sont associées pour le démontrer.

Une occupation de terres se fait sur le Triangle via un potager participatif. Ce petit potager fait si peur aux grands aménageurs que les légumes sont menacés d'expulsion ! Le Collectif pour le Triangle de Gonesse appelle tou.te.s les sympatisant.e.s à se rassembler au Tribunal de Grande Instance de Pontoise pour les soutenir le mercredi 14 novembre à 9h.

Vous pouvez vous rendre sur le site nonaeuropacity.com, signer les pétitions en ligne et vous abonner à l'Echo du Triangle.

Pour aller plus loin, n'hésitez pas à contacter le CPTG (Collection pour le Triangle de Gonesse).

Non à Europacity et vivent les légumes ! :)

Pourquoi le triangle est-il si fertile ?

Un autre destin pour Gonesse : l'anti-Europacity, le projet CARMA

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22 octobre 2018

La troisième révolution (texte de Fred Vargas, archéologue et écrivain)

Nous y sommes.

Nous y voilà, nous y sommes. Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l'incurie de l'humanité, nous y sommes.

Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui fait mal.

Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d'insouciance. Nous avons chanté, dansé. Quand je dis « nous », entendons un quart de l'humanité tandis que le reste était à la peine.

Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l'eau, nos fumées dans l'air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu'on s'est bien amusés.

On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu.

Franchement on s'est marrés.
Franchement on a bien profité.

Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre.
Certes.

Mais nous y sommes.
A la Troisième Révolution.

Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie.

« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.

Oui.

On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis. C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies.

La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets. De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau.

Son ultimatum est clair et sans pitié :
Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d'ailleurs peu portées sur la danse). Sauvez-moi, ou crevez avec moi.

Évidemment, dit comme ça, on comprend qu'on n'a pas le choix. On s'exécute illico et, même, si on a le temps, on s'excuse, affolés et honteux. D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un délai, de s'amuser encore avec la croissance.

Peine perdue.

Il y a du boulot, plus que l'humanité n'en eut jamais. Nettoyer le ciel, laver l'eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l'avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille, récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n'en a plus, on a tout pris dans les mines, on s'est quand même bien marrés).

S'efforcer. Réfléchir, même.

Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire.

Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde.
Colossal programme que celui de la Troisième Révolution.
Pas d'échappatoire, allons-y.

Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l'ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante.

Qui n'empêche en rien de danser le soir venu, ce n'est pas incompatible.

A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie une autre des grandes spécialités de l'homme, sa plus aboutie peut être.

A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution.

A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore.

21 octobre 2018

LE MONDE SE RETIRE par Sylvain Tesson

Je rentre d'un voyage au Moyen-Orient. J'ai voyagé des jours par les plaines et le long de fleuves antiques. Je ne précise pas le tracé de mon itinéraire parce que je ne veux pas donner le récit de mes pérégrinations mais seulement exprimer une pensée générale.

J'ai passé des heures sous des ciels de l'Orient, dont les nuits de mystères calment les brûlures du jour, et je suis rentré hier soir à Paris. Je n'ai pas eu le temps de mettre mes notes en ordre, tout juste ai-je pu, pendant que l'avion franchissait la Méditerranée, rassembler les images qui, de mes milliers de kilomètres parcourus, se dessinaient à mon esprit.

Or, je ne revois que la ruine, le chaos et la détresse.

Partout des villes en cendres, des masses affligées, un monde fumant.

Des plaines de sacs en plastique, des versants de béton qui devaient avoir été de grandes pentes parcourues par des troupeaux et des tribus farouches.

Des amoncellements de décombres pour témoigner de cette double opiniâtreté de l'Homme :

Sa fièvre de bâtir partout.

Sa rage de détruire toujours.

Et en rentrant en France, en ouvrant à nouveau les journaux, en écoutant les nouvelles du monde, je ne reçois que la même information sur la montée des eaux, la fonte des glaces, tout ce que nous savons sans trop nous en effrayer : l'embrasement du ciel, la disparition des bêtes, le flétrissement du vivant, le recul des formes de la vie, bref, l'usure du monde.

Si j'ai écrit ces lignes il y a quelques heures, ce n'est pas pour jouer les Cassandre et lancer des plaintes impuissantes sur la dégradation du monde, ni pour masquer mon manque d'inspiration derrière les accents d'un Lamento trop facilement tragique. Non. C'est parce que j'ai fait la constatation que voici.

Jamais autant qu'en ces journées où j'ai vu défiler sous mes yeux l'enlaidissement du monde et l’appauvrissement de l'homme, jamais n'ai-je autant entendu parler des « lendemains radieux », des promesses qu'ils recèlent, des saluts qu'ils réservent.

Il y a toujours, dans la bouche des plus malheureux, comme de nous autres, Européens épargnés, toujours l'écho de l’espérance en Dieu, de la foi en la Révolution politique, de la confiance dans la technique.

Et ce rapport m'effraie, entre le monstrueux accroissement des affronts faits à la Terre et l'abandon des esprits à des promesses messianiques, consolantes, rassurantes.

Comme s'il y avait un lien proportionnel entre la dégradation du présent, du réel, et le mouvement conjoint d'oubli du passé et de supplication adressée à l'avenir.

Or, cette confiance dans les trois avènements que je viens de citer : le Dieu religieux, les promesses politiques, les prouesses techniques m’apparaît une fausseté. Ces trois messianismes, je les tiens pour des écrans de fumée qui nous épargnent de mieux nous conduire, ici et maintenant, de ménager ce dont nous disposons, de conserver ce qui tient encore bon.

Ici on appelle à la Révolution, ici on aspire à l'au-delà, ici on travaille à augmenter la réalité.

Foi révolutionnaire, espérance messianique, fétichisme technique.

Pendant ce temps : fonte des glaces, mort des bêtes, recul du réel.

Les fables, les chimères, gagnent du terrain. Le monde, lui, se retire.

Eh bien moi, je suis du côté du réel. Des arbres, des sols, des bêtes. Pas des écrans, ni des prophètes, ni des drapeaux rouges.

Je ne sens aucune impatience pour ce qui n'est pas encore advenu.

J'ai l'impression que la révolution politique est parfois le mouvement qui transforme une situation qui aurait pu être meilleure en une situation qui ne peut pas être pire.

J'ai l'impression que Dieu pourrait se résoudre à la manifestation de tout ce qui vit et chatoie, là, devant nos yeux dans l’expression des formes vivantes, données et non promises.

J'ai l'impression que les spéculations sur l'intelligence artificielle sont la figuration d'un cauchemar.

Bref, j'aime la magie du réel et voudrais me pouvoir contenter de son chatoiement et déplore que nous nous accommodions des salissures que l'humanité laisse derrière elle en nous réfugiant dans d’artificielles espérances.

Résistance et transition
  • Ne vous y trompez pas ! Le colibri de la fable ne trie pas ses déchets, il ne prend pas des douches plus courtes, il ne fait pas du covoiturage, il utilise la totalité de son énergie vitale pour éteindre l'incendie dans la forêt qu'il aime. Soyons uni.e.s.
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